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[Jésus] enseignait dans une des synagogues, un jour de sabbat. 11Or
il y avait là une femme rendue infirme par un esprit depuis dix-huit
ans ; elle était courbée et ne pouvait absolument pas se
redresser. 12Quand il la vit, Jésus l'appela et lui dit :
Femme, tu es délivrée de ton infirmité. 13Et il lui imposa les
mains. A l'instant même elle se redressa et se mit à glorifier
Dieu.
14Mais le chef de la
synagogue, indigné parce que Jésus avait réalisé cette guérison
pendant le sabbat, disait à la foule : Il y a six jours pendant
lesquels il faut travailler ; venez donc vous faire guérir ces
jours-là, et non pas le jour du sabbat ! 15Le Seigneur lui
répondit : Hypocrites, chacun de vous, pendant le sabbat, ne
détache-t-il pas son bœuf ou son âne de la mangeoire pour le mener
boire ? 16Et cette femme, qui est une fille d'Abraham et que le
Satan tenait liée depuis dix-huit ans, il n'aurait pas fallu la
détacher de ce lien le jour du sabbat ? 17Tandis qu'il disait
cela, tous ses adversaires étaient pris de honte, et toute la foule
se réjouissait de toutes les choses glorieuses qu'il faisait.
Chers frères et sœurs en Christ
chers amis
Le
nom d'Haley Waldman vous est certainement inconnu. En 2004, cette
petite fille (alors âgée de 8 ans) s'est vue interdire de communion
au sein de l’Église Catholique. La raison ? Elle est atteinte
de maladie cœliaque, qui entraîne notamment une intolérance très
grave au gluten. Le problème est que le droit canon catholique
romain exige que les hosties soient faites de pain sans levain qui,
par définition, contient du gluten. Les autorités de diocèse
concerné restèrent inflexibles : pas d'exception à la règle.
Je
ne tiens pas à me lancer dans une polémique anticatholique ce
matin, j'utilise juste cette histoire pour vous montrer à quel point
la religion peut parfois devenir purement répressive. Des exemples
similaires existent partout, et même chez les luthériens (si,
si...). Notre évangile de ce matin nous dit en fait la même chose.
Quand
l'histoire commence, Jésus se trouve, comme souvent, dans une
synagogue. Les cultes étaient le plus souvent assez simples et
informels : des prières, des lectures de la Parole de Dieu, une
forme d'enseignement et des aumônes pour les pauvres. Mais, au
milieu de cet environnement familier, Jésus remarque une femme que
Luc nous décrit comme étant « courbée » (peut-être
une scoliose ou une ostéoporose) depuis 18 ans. Cette affection est
causée par un « esprit » : la femme est donc
affectée dans sa totalité : corps et âme, pourrait-on dire...
Jésus l'appelle et lui dit « Femme, tu es délivrée de ton
infirmité. » Il la touche et, immédiatement, elle se relève
et loue Dieu. Voilà, belle histoire, fin de la prédication.
Bien
sûr, il y a plus dans cette histoire. Le « rabbin »
local arrive et reprend sévèrement les gens : Il y a six jours
pendant lesquels il faut travailler ; venez donc vous faire
guérir ces jours-là, et non pas le jour du sabbat !
Derrière
ces remontrances, on voit en fait une critique déguisée faite à
Jésus. On entend bien le « Jésus, comment oses tu guérir le
jour du sabbat ?? »
Et,
en vérité, il est évident que l'action de Jésus allait forcément
créer la controverse. Cette guérison allait forcément être vue
comme une violation du commandement divin : « le septième
jour est le repos de l'Éternel ton Dieu; tu ne feras aucune œuvre
en ce jour-là, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur,
ni ta servante, ni ton bétail, ni l'étranger qui est dans tes
portes. Car l'Éternel a fait en six jours les cieux et la terre, la
mer et tout ce qui est en eux, et il s'est reposé le septième jour;
c'est pourquoi l'Éternel a béni le jour du repos et l'a
sanctifié. »
Comme
vous le diront n'importe quel médecin ou infirmière, guérir ou
soigner, c'est du travail. Jésus guérit le jour du sabbat, il viole
donc le sabbat.
Encore
aujourd'hui, le sabbat, le jour du repos est central dans la vie
religieuse juive. En fait, tout cela remonte à la période de
l'exil, dans l'ancien testament, où le sabbat est devenu un marqueur
de l'identité juive. Avec le temps, on est passé de la logique
originelle (un jour de repos consacré à Dieu) à un ensemble
de règles tout à fait étrangères au texte biblique. A l'époque
de Jésus, il y avait 1521 choses qu'il était interdit de faire lors
du sabbat. Par exemple, les chefs religieux avaient décrété qu'on
ne pouvait pas marcher plus qu'un « chemin de sabbat »
(2000 coudées)
On
ne pouvait non plus rien porter, ce qui incluait un morceau de ruban
attaché à la robe d'une femme par une épingle, mais pas le même
ruban s'il était cousu... Vous voyez, ce qui s'était passé dans
beaucoup de milieux juifs, c'était une perversion du sabbat. On
avait transformé un commandement divin avec une logique humaine et
on en avait tordu le sens réel en instrument de légalisme
absolument étouffant.
C'est
dans ce contexte que Jésus guérit la femme. Il travaille donc le
jour du sabbat ; il viole le sabbat. Et ce n'est même pas un
cas d'urgence : la femme était malade depuis 18 ans, elle
aurait pu attendre. D'ailleurs, elle n'avait rien demandé !! Et
je suis persuadé que Jésus a fait tout cela exprès, tout d'abord
par amour envers cette femme mais aussi pour réveiller les esprits
et les cœurs de ceux qui étaient là.
Jésus
les interpelle , et ses mots sont rudes : « Hypocrites,
chacun de vous, pendant le sabbat, ne détache-t-il pas son bœuf ou
son âne de la mangeoire pour le mener boire ? 16Et cette femme,
qui est une fille d'Abraham et que le Satan tenait liée depuis
dix-huit ans, il n'aurait pas fallu la détacher de ce lien le jour
du sabbat ? ». Jésus adresse une remontrance qui est
aussi un appel à se réveiller : « est-ce que vous vous
rendez compte de ce que vous faites ? Vous êtes tellement
centré sur votre règle purement humaine (avec laquelle vous savez
vous arranger) que vous en en oubliez d'être humains !! Vous
êtes prêts à détacher une bête pendant le sabbat, mais vous ne
voulez pas qu'on libère une femme ??!!». Monstrueuse
inconséquence en effet, qui est simplement insupportable à Jésus.
Le
sabbat avait été perverti, tordu. Alors ici, Jésus redresse les
choses. Il redresse la femme bien sûr, mais il redresse aussi la
vision juste de la grâce et de l'amour de Dieu, complètement
obscurcie par le légalisme.
Nous
ne nous en rendons peut-être pas compte, mais dans ces sept
versets, Jésus viole non pas une règle (le sabbat) mais six !
- Jésus parle à la femme. Aucun juif n'aurait parlé à une femme en public, même pas à son épouse (se souvenir de Jean 4 et de la Samaritaine)
- il l'amène au centre de la synagogue. Il rompt donc l'idée d'un accès privilégié des hommes à Dieu
- il touche la femme, violant une autre loi qui « protégeait » les hommes contre l'impureté et la séduction féminines
- il l'appelle « fille d'Abraham » un terme jusque là inconnu dans la littérature juive. C'est révolutionnaire car beaucoup pensaient que les femmes étaient sauvées par l'intermédiaire des hommes. Dire d'une femme qu'elle était fille d'Abraham, c'était en faire une égale devant Dieu.
- Il la guérit le jour du sabbat. Il montre par là que la bonté de Dieu passe bien avant les cérémonies et ramène le sabbat à ce qu'il n'aurait jamais dû cesser d'être : un signe tangible de l'amour divin
- enfin (mais ce n'est pas le moindre) Jésus critique l'idée selon laquelle la maladie serait une punition infligée par Dieu à cause d'un péché quelconque. Jésus affirme que la femme est malade, non pas parce que Dieu l'a voulu, mais parce que le mal est une réalité de notre monde, mais une réalité que Dieu vient défaire par son Fils unique.
Tout
cela, très clairement, Jésus le fait pour choquer, pour réveiller.
Pour ramener à l'essentiel, car c'est le propre de toutes les
religiosités légalistes que de faire perdre de vue l'essentiel. Je
me souviens de cette brave dame protestante qui était choquée qu'on
joue de la guitare dans le temple (parce que « ça ne se
faisait pas ») mais qui n'avait aucun problème avec des
pasteurs niant la divinité de Jésus. Il est tellement simple
parfois de filtrer le moucheron et d'avaler le chameau.
A
l'opposé de cette attitude, Luc nous raconte aujourd'hui une
histoire de la grâce qui transforme.
La
compassion est ici au cœur des choses. Le chef de la synagogue
représente la voix de la tradition, de la prudence et de la sagesse
habituelle. La loi et l'ordre en quelque sorte...choses que Jésus
n'a jamais refusées en tant que telles. Le problème, c'est que
c'est aussi dans ce cas la voix de l'aveuglement face au légalisme,
à l'oppression et à la discrimination. La sagesse conventionnelle
est une bonne chose en soi, mais elle doit être surpassée par une
sagesse qui vient d'en haut. Nous mettre encore et toujours à
l'écoute réelle de l’Écriture Sainte nous permettra d'entrer
dans le cœur de Dieu, de voir les choses comme il les voit, à nous
défaire de toutes ces choses auxquelles nous nous accrochons parce
que nous croyons qu'elles nous apportent la sécurité, tandis
qu'elles ne font que nous paralyser.
Nous
avons vu aujourd'hui Jésus relever une femme qui avait été courbée
pendant 18 ans. Peut-être que nous aussi nous sommes courbés, par
le poids du péché dans nos vies, par des rêves non réalisés, par
de l'amertume ou par quelque autre fardeau. La Bonne Nouvelle ce
matin, c'est qu'une puissance de guérison, de restauration est là,
présente en Jésus-Christ. Peut-être aussi que cette histoire est
là pour nous rappeler que les bons chrétiens que nous sommes
doivent, comme la femme, être « détachés »de toute
étroitesse d'esprit et de tout orgueil, rendus libres d'apprécier
de façon nouvelle la communion avec Dieu et le service de notre
prochain. La Bonne Nouvelle ce matin, c'est que les réserves de la
grâce ne sont pas épuisées et que nous pouvons y puiser.
En
redressant cette femme, Jésus lui aussi donné une nouvelle vision
sur le monde. C'est ce qu'il veut faire encore aujourd'hui, pour vous
et moi. Puissions nous voir les choses comme Dieu les voit. Voir
notre vie, l'appel que Dieu nous lance à le servir dans la
consécration, voir notre besoin de nous placer à l'écoute de sa
Parole, en abandonnant toutes nos fausses sagesses. La religion
n'est que les habits usés de la foi. La foi réelle et vivante en
Christ Jésus n'a que faire de toutes les règles qui finissent par
nous cacher le cœur de Dieu. La foi accepte avec joie la tradition
et se défie du traditionalisme. Elle reconnaît qu'en Jésus-Christ,
le Sauveur du monde, Dieu est venu agir dans nos vies pour nous
donner le pardon et la paix. La foi sait que tous ceux qui ont placé
leur confiance en Jésus sont appelés à participer à l’œuvre de
grâce et de restauration de Dieu, à devenir le visage de la grâce
dans la vie de ceux que nous touchons chaque jour.