dimanche 14 février 2010

Luc 18.31-43





31 Jésus prit les douze avec lui et leur dit: «Nous montons à Jérusalem et tout ce qui a été écrit par les prophètes au sujet du Fils de l'homme va s'accomplir.32 En effet, il sera livré aux non-Juifs, on se moquera de lui, on l'insultera, on crachera sur lui33 et, après l'avoir fouetté, on le fera mourir; le troisième jour il ressuscitera.»34 Mais les disciples ne comprirent rien à cela: c'était pour eux un langage obscur, des paroles dont ils ne saisissaient pas le sens.35 Comme Jésus était près de Jéricho, un aveugle était assis au bord du chemin et mendiait.36 Il entendit la foule passer et demanda ce qui se passait.37 On lui dit: «C'est Jésus de Nazareth qui passe.»38 Alors il cria: «Jésus, Fils de David, aie pitié de moi!»39 Ceux qui marchaient devant le reprenaient pour le faire taire, mais il criait beaucoup plus fort: «Fils de David, aie pitié de moi!»40 Jésus s'arrêta et ordonna qu'on le lui amène; quand il fut près de lui, il lui demanda: 41 «Que veux-tu que je fasse pour toi?» Il répondit: «Seigneur, que je retrouve la vue.» 42 Jésus lui dit: «Retrouve la vue, ta foi t'a sauvé.» 43 Il retrouva immédiatement la vue et suivit Jésus en célébrant la gloire de Dieu. Voyant cela, tout le peuple se mit à adresser des louanges à Dieu.



Chers frères et sœurs,

Quand nous entendons Saint Paul dire "l'amour est patient et plein de bonté", savons de qui il parle? Quand il dit " l'amour n'est pas envieux, l'amour ne se vante pas, il ne s'enfle pas d'orgueil, il ne fait rien de malhonnête, il ne recherche pas son propre intérêt, il ne s'irrite pas, il ne soupçonne pas le mal" qui décrit-il?
Paul parle ici d'une personne. Il parle de Jésus. Jésus "supporte tout" pour nous. Jésus "endure tout" pour nous. Parce qu'il nous aime. Il ne nous aime pas parce que cela lui apporte quelque chose. Il ne nous aime pas parce que nous l'avons mérité. Il ne nous amie même pas parce que nous l'avons aimé en retour. Non, le Seigneur "supporte tout" parce qu'il vous aime. Parce que l'amour véritable n'attend pas qu'il y ait quelque chose à gagner, il n'attend pas d'avoir été mérité, il n'attend pas d'être sûr qu'on appréciera ce qu'il apporte.

Et nous, est-ce que nous aimons de cette façon? Vous êtes peut-être bon et patient avec vos proches, les membres de votre famille. Pour vos parents, pour vos enfants, vos frères et sœurs, vous êtes prêts à supporter beaucoup de choses. Mais comme Jésus l'a bien dit, il n'y a rien d'extraordinaire à aimer ceux qui nous aiment. Les païens font la même chose! Et disons-le: même au sein des couples, même au sein des familles où les gens s'aiment vraiment, il y a des accrochages, des incidents, des disputes, parce que nous allons être envieux, nous allons vouloir imposer notre point de vue, nous allons être irritable. J'aimerai que l'on me montre la famille chrétienne où il n'y a jamais eu une seule dispute du dimanche matin avant le culte parce qu'on va être en retard et qu'on n'est pas encore prêts! Non, nous n'aimons pas comme Dieu, car nous avons toujours tendance à nous aimer en premier. Paul ne nous décrit pas en 1 Corinthiens 13. Il nous dit que l'amour est la clé de voûte de la vie chrétienne, parce qu'en aimant, nous prenons modèle sur Jésus-Christ, l'amour incarné.

En Jésus, l'amour a agi plein de douceur même en face de l'hostilité la plus sauvage. "Nous montons à Jérusalem et tout ce qui a été écrit par les prophètes au sujet du Fils de l'homme va s'accomplir. En effet, il sera livré au non-Juifs, on se moquera de lui, on l'insultera, on crachera sur lui et, après l'avoir fouetté, on le fera mourir".

Durant des siècles, on a accusé les Juifs d'avoir tué le Christ. C'était oublier que les Romains, symboles des non-Juifs, avaient aussi joué un rôle dans l'affaire. De toute façon, fondamentalement, ce ne sont ni les Juifs, ni les Romains qui ont tué Christ. C'est vous. C'est votre insolence qui l'a insulté. C'est votre malfaisance qui s'est moquée de lui. Ce sont vos péchés qui l'ont cloué à la Croix.
Mais Jésus n'est pas tombé dans un piège. Jésus va vers Jérusalem volontairement, conscient de ce qui l'attend. Jésus va vers Jérusalem plein d'amour pour ceux qui ne l'aiment pas. Il va vers la mort pour tous ceux qui ont oublié ce qu'est l'amour. Jésus va à Jérusalem pour une humanité qui s'est éloignée de l'amour du Père et qui fait régner dans ses sociétés l'animosité, l'envie, la dureté et le mensonge. Jésus se prépare à mourir, par amour, pour des humains qui n'ont plus d'espoir dans cette vie et au-delà.

De tout ça, les disciples ne comprennent rien. C'est pour eux "un langage obscur". Obscur? Certainement pas du point de vue linguistique! Jésus aurait difficilement faire plus simple comme explication à part peut-être dire " Vendredi prochain, je vais être crucifié par le gouverneur romain Ponce Pilate. A 6 heures du soir, je serai mort. Vous m'aurez tous abandonné la nuit précédente. Seul Jean assistera à mon exécution".
Les disciples auraient dû comprendre. Jésus leur avait déjà parlé de sa mort. Et puis, il y avait l'Ancien Testament qui annonçait un Sauveur souffrant. Mais, cela, justement, les disciples préfèrent l'évacuer. Oh, bien sûr, ils croient que Jésus est le Messie, pas de doute là-dessus. Mais bon, tout le monde sait qu'un Messie, c'est quelqu'un de glorieux qui va renvoyer les occupants romains chez eux et rétablir le royaume de David, n'est-ce pas? Voilà ce que les disciples attendent!
Alors, quand Jésus parle d'arrestation, de mort, ils ne peuvent pas comprendre ce dont il parle, parce qu'ils refusent de croire que le Fils de Dieu doive mourir pour le pardon de leurs fautes. Ne soyons pas trop durs avec eux: tous les humains sont comme eux. Nous pensons pouvoir mériter les faveurs de Dieu, nous réduisons la gravité de notre péché. Naturellement, nous pensons tous que nous sommes bons à la base, avec quelques petits défauts sur lesquels nous devons travailler. Mais pour reconnaître que seul le sang de Jésus peut nous purifier, il faut une véritable conversion du cœur.

C'est même vrai pour nous chrétiens: si on nous demande de décrire Dieu, je pense que la plupart d'entre nous parleront de ses attributs; amour, toute-puissance, bonté, sagesse… Combien d'entre nous diront que Dieu a des yeux, des oreilles, des mains et des pieds, et que ces mains et ces pieds ont été percés de clous pour nous?

Les disciples sont incapables de comprendre ce que Jésus leur annonce. Seul un aveugle, celui qui ne voit rien, va discerner la vraie identité de Jésus quand il part vers Jérusalem. Et cet aveugle, notre texte nous invite à reconnaître que nous lui ressemblons beaucoup.
L'aveugle est là, sur le bord de la route, à mendier. Nous sommes tous des mendiants frères et sœurs, des mendiants devant Dieu. Nous devons saisir l'étendue de notre corruption, de notre rébellion, pour comprendre que nous n'avons rien à présenter à Dieu à part une main ouverte et implorante.
D'ailleurs, il implore, l'aveugle. Il implore en criant tellement fort que les gens lui disent de se taire. Peu importe à l'aveugle, il continue à crier " Jésus, Fils de David, aies pitié de moi!".
Cette parole, vous vous en êtes peut-être rendu compte, nous l'utilisons à chaque culte "Seigneur prends pitié de nous, Christ, prends pitié de nous, Seigneur prends pitié de nous". C'est le Kyrie, qui dans certaines liturgies contemporaines est dite en guise de confession. Cette pratique ne me choque pas: " Jésus, Fils de David, aies pitié de moi!". C'est le cri de la foi. C'est la voix de toutes et de tous ceux qui disent "sans Jésus, je sais que je suis perdu, je sais que mon seul espoir est en lui. Alors, je veux implorer sa grâce et ne pas m'arrêter avant de l'avoir reçue". C'est la prière aussi, de ceux qui savent qu'ils peuvent s'approcher de Dieu librement par la grâce donnée en Jésus: "vous n'avez pas un esprit d'esclavage pour être encore dans la crainte, mais vous avez reçu un esprit d'adoption par lequel nous crions "Abba, Père" (Rom 8.15). Dans nos prières, nous devrions pour crier à Dieu avec la confiance, l'audace de l'aveugle.

Voyez-vous, cet homme ne voyait pas, mais il n'était pas aveugle à la plus grande réalité spirituelle. Ce Jésus qui passait n'était pas un homme ordinaire. Il est le Fils de David, l'héritier du trône. Mais nous voyons aussi que l'aveugle sait que Jésus est plus qu'un roi terrestre, parce qu'il lui demande quelque chose que seul Dieu peut faire: lui rendre la vue.

Ce texte de l'évangile vient vers nous aujourd'hui pour nous montrer ce que la saison du Carême, qui va commencer mercredi prochain, doit être. Le Carême ce n'est pas une religiosité morbide pendant 40 jours. Le Carême ce n'est pas se complaire dans une spiritualité éminemment malsaine car fondée sur la privation et l'abstinence. Non, ce que le Carême nous invite à faire, avec sérieux, avec consécration, avec sainteté, c'est à recouvrer la vue. Le monde dépose chaque jour devant les yeux de notre esprit un nuage de fumée trompeur.
Nous avons besoin de voir la gravité de notre péché. Nous avons besoin de voir la grandeur de l'amour de Dieu. "Nous montons à Jérusalem" dit Jésus. Lui seul portera le poids de notre péché sur la croix, mais nous allons avec lui. Et quand il va vaincre la mort le jour de Pâques, nous serons aussi avec lui. Sur la route qui mène à la Croix, nous sommes avec Jésus. Ou, plutôt, Jésus est avec nous. Nos souffrances, nos blessures, nos espoirs déçus, nos aveuglements, nos tristesses, notre péché, notre mort, il porte tout cela. Par amour.

Alors, laissons le Carême qui va bientôt commencer être un temps de nouveau départ, un temps où nous allons tourner le dos à tout ce qui nous pèse dans notre passé parce que, à la Croix, nous pouvons nous décharger de nos fardeaux, de notre aveuglement, de nos cris de colère. Crions à présent "Jésus, Fils de David, prends pitié de moi!". Jésus entend notre prière, et nous le suivons, en glorifiant le Père.