jeudi 21 juillet 2011

Rencontre imaginaire avec… LE PROPHÈTE ELIE

Texte : 1 Rois 17 à 21



Le nouveau voyage dans le passé que je me décidais à faire n'allait pas être facile. Je voulais essayer, en effet, de rencontrer l'un des plus anciens et des plus grands parmi les prophètes d'Israël : Elie. Mais comme nous ne connaissons que peu de choses de sa vie, il fallait me risquer dans une aventure qui n'aboutirait peut-être qu'à un échec. C'est bien ce qui faillit m'arriver. Grâce à mon excellente machine à remonter le temps (voir les numéros précédents de Tant qu'il fait jour), je pouvais atteindre la période approximative de 850 avant Jésus-Christ, date probable de l'existence du prophète. Mais où le trouver ? Ne sachant pas s'il avait un lieu de résidence fixe, j'hésitais de toute façon à avoir quelques bons kilomètres à franchir à pied avant de trouver mon personnage.

Je pris donc des provisions de voyage et une bonne canne de marche, avant d'établir la machine dans le pays d'Israël, à proximité de la vallée du Jourdain, quelques kilomètres au sud du lac de Tibériade, dans une région peu habitée de l'ancien royaume d'Israël dont nous parle la Bible. Sans difficulté, la machine me transporta sur place, à environ 2825 ans en arrière, et la région me parut vraiment bien déserte.


Je ne raconterai pas mes efforts et mes échecs dans ma recherche du prophète. Pendant plusieurs jours, je sillonnai le pays, allant vers l'ancienne ville de Samarie, puis dans la vallée de Jizréel, et même sur le mont Carmel, sans succès. Je revins vers le Jourdain pour le traverser et entrer dans la région appelée autrefois Galaad. Enfin, après bien des fatigues et des découragements, j'appris un jour que le prophète Elie était en ce moment-même dans son village natal de Thisbé de Galaad où je me rendis aussitôt. C'est là que j'ai pu enfin, avec grande joie, le rencontrer.


C'était un homme à l'aspect étrange. Vêtu d'une sorte de robe en peau d'animal garnie de longs poils, une ceinture de cuir autour des reins, la figure barbue, maigre et tannée par le soleil, Elie semblait sortir du désert où il vivait comme un ermite. Mais son regard était d'une telle intensité qu'on pouvait à peine le soutenir.


— Grand prophète de Dieu, lui dis-je, pourquoi est-il si difficile de te rencontrer ? Pourquoi personne ne peut-il savoir où te trouver, parce que tu es toujours... ailleurs ? On te voit à Samarie, près du palais royal, puis tu disparais. Tu vas à Sarepta, mais tu es déjà parti pour ton lieu de retraite près du torrent du Kérith. On veut t'y rencontrer, et l'on apprend que tu prophétises sur le mont Carmel. Qu'est-ce qui te pousse ainsi à courir partout ?


Il y eut un temps de silence. Puis j'entendis une voix grave, nette et coupante comme une lame de couteau :

— Quand Dieu parle, il faut entendre. Quand il ordonne, il faut obéir. Quand il dit : Va !... il faut aller. C'est lui qui dirige. C'est lui qui appelle. Parfois je ne sais pas pourquoi il me dit d'aller à tel endroit, mais je sais qu'il me le commande et, quand j'arrive, je comprends ce qu'il me demande de dire ou de faire.

Je repris la parole. — Certes, je comprends qu'un prophète soit avant tout disponible pour exécuter les ordres de Dieu. Mais est-il nécessaire que toute sa vie soit comme une lutte, un combat contre les hommes, même contre les rois ?


— S'il y a combat, répondit Elie, ce n'est pas surtout entre les hommes, mais c'est plutôt entre les dieux. La grande lutte est celle qui provient de l'incapacité à décider de quel dieu on veut être l'adorateur et le serviteur. Ou bien c'est Dieu, ou bien ce sont les Baals. Mais la plupart proclament qu'ils veulent servir Dieu, et en même temps ils se soumettent aux Baals. On ne peut pas boiter des deux côtés à la fois ! Il faut choisir et, ensuite, marcher à fond selon le choix qu'on a fait...


— Pour le prophète de Dieu, le choix est fait, bien entendu. Mais qu'est-ce qui peut faire pencher la décision d'un côté ou de l'autre, pour l'homme du peuple, et même pour un responsable, fût-il roi ? Quelle est la différence essentielle entre Dieu et Baal ?


— Comment peut-on ignorer cette différence ? Elle est pourtant simple ! C'est toute la différence entre la vie et la mort. Dieu est vivant, les Baals sont morts, inexistants. C'est se moquer du monde que de croire qu'ils sont capables d'agir, d'intervenir, de répondre. Quand les prophètes de Baal ont invoqué leur dieu, sur le mont Carmel, je n'ai pas pu m'empêcher de me moquer d'eux : « Criez plus fort ! Il dort peut-être... ou bien, il est parti en voyage ! ». Mais quand j'ai prié le Dieu vivant, il m'a répondu aussitôt et la foudre est venue consumer le sacrifice. Des dieux qui dorment, qui meurent comme la végétation en hiver et qui reprennent vie au printemps, qui ne répondent pas à la prière, qui sont incapables d'agir, comment peut-on les prendre au sérieux ? Ce sont des faux dieux, des idoles mortes. Un roi est coupable s'il conduit son peuple à les adorer, alors qu'il connaît fort bien le vrai Dieu vivant.


— Prophète du Dieu vivant, je connais ta conviction et ta fidélité au Dieu d'Israël. Qu'est-ce qui te fait surtout croire que Dieu est vivant ?


— Oh, c'est facile à comprendre ! Dieu est vivant parce que c'est lui qui nous donne la vie et nous la renouvelle jour après jour. Il peut envoyer une famine, et c'est la mort. Il envoie la pluie, et la nourriture revient. Au plus fort de la sécheresse et de la famine, il m'a nourri, dans ma retraite cachée, grâce aux corbeaux qui m'apportaient de quoi manger. Quand j'ai été hébergé chez la pauvre veuve de Sarepta, il nous a nourris quotidiennement comme par miracle, et quand le fils de la veuve a été malade à la mort, Dieu lui a rendu la vie. Est-ce que les Baals ont jamais fait cela ?


— Cette certitude ne peut-elle parfois être ébranlée ? N'y a-t-il pas des moments de doute ?


— Bien sûr, j'ai connu le doute et le découragement. Or, Dieu m'a suivi lorsque je me suis enfui vers le Sinaï, découragé par mes échecs, et il m'a rendu courage et force pour reprendre ma lutte.


— Cependant, lui dis-je encore, ce n'est pas tous les jours famine, maladie mortelle, fuite. La vie courante connaît moins d'événements graves. Dieu y intervient-il quand même ?


— Certainement. Il intervient dans notre vie quotidienne, parce que nous n'obéissons jamais complètement à ses commandements. Et même, il nous arrive de désobéir avec pleine conscience, et sans vergogne, comme le roi Achab voulant prendre la vigne de Naboth et s'imaginant que Dieu ne dirait rien ! Achab a violé tous les commandements : convoitise, faux témoignage, vol, meurtre, mépris des parents, insulte à Dieu... Dieu l'a puni rudement, parce que le Dieu vivant est un Dieu juste qui ne peut souffrir l’injustice de la part de ses serviteurs. Quel est le Baal qui aurait réagi à cette conduite révoltante ? Quelle est l'idole qui aurait puni de telles injustices ? Ce sont tous des dieux morts. Un seul est le Dieu vivant, le Dieu des Pères, de Moïse, de David. S'il n'était pas vivant, nous serions tous morts !... Dieu est vivant !... Dieu est vivant !...


J'entends encore cette voix martelant une telle certitude : Dieu est vivant !


La figure du prophète Elie ne disparaîtra pas de mon souvenir et, en revenant à mon point de départ, c'est-à-dire à notre temps d'aujourd'hui, je ne manquai pas de me poser la question : pourquoi n'y aurait-il pas, aujourd'hui, des hommes de Dieu, comme Elie, pour proclamer au monde que Dieu n'est pas mort, mais qu'il est toujours bien vivant ?
 
Auteur : Franck MICHAËLI
Source : Tant qu’il fait jour (mensuel protestant), n° 165, mais 1976 (p. 8).



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