11Ensuite
il se rendit dans une ville appelée Naïn ; ses disciples et
une grande foule faisaient route avec lui. 12Lorsqu'il approcha de la
porte de la ville, on portait en terre un mort, fils unique de sa
mère, qui était veuve ; et il y avait avec elle une importante
foule de la ville. 13Le Seigneur la vit ; il fut ému par elle
et lui dit : Ne pleure pas ! 14Il s'approcha et toucha le
cercueil. Ceux qui le portaient s'arrêtèrent. Il dit : Jeune
homme, je te l'ordonne, réveille-toi ! 15Et le mort s'assit et
se mit à parler. Il le rendit à sa mère. 16Tous furent saisis de
crainte ; ils glorifiaient Dieu et disaient : Un grand
prophète s'est levé parmi nous, et : Dieu est intervenu en
faveur de son peuple. 17Cette parole se répandit à son sujet dans
la Judée tout entière et dans tous les environs.
Une
femme marche. Une veuve sur un chemin poussiéreux. Le soleil frappe
les rues de Naïn. La ville se trouve au bord d'une large et belle
vallée, mais la veuve n'a pas le coeur à penser à la beauté.
Aujourd'hui, sa vie s'est arrêtée. Elle perdu son dernier lien avec
la société, elle est sur le point de devenir une exclue.
La
femme marche derrière le corps de son fils unique, enveloppé d'un
lincueil et porté sur une simple planche de bois. Il est mort ce
jour même et doit être enterré avant le couche du soleil. Le choc
est insupportable, trop lourd à porter. Peut-être la femme se
souvient elle avoir pris le même chemin pour enterrer son mari.
Elle l'a perdu, elle a perdu son fils et elle peut craindre d'être
elle aussi perdue.
Dans
une société où la famille était en fait le seul « filet de
sécurité » en terme social, se retrouver veuve et sans enfant
voulait tout simplement dire être privée de tout soutien. Un femme
ne pouvait être représentée légalement que par un homme. Elles ne
pouvaient être défendues socialement que par des hommes. Pour
défendre ses intérêts, une femme devait compter sur les hommes de
sa famille. Bien sûr, le peuple connaissait la Loi que Dieu avait
donnée à Moïse, et qui affirmait clairement que les veuves, en
tant que personnes particulièrement fragiles devaient être
protégées et recevoir une protection particulière. Mais il était
tellement tentant pour certains d'abuser de cette faiblesse. Une
veuve sans enfant restait une femme seule dans un monde d'hommes :
une proie facile, tout simplement... Sombre perspective. Ils sont
sans doute nombreux ceux qui, tout en l'accompagnant, sont tristes de
la mort du jeune homme, mais aussi inquiets pour la mère : que
va t'elle devenir ? En plus de l'épreuve terrible qui consiste
à devoir enterrer son enfant, la veuve de Naïn est seule,
abandonnée, en fait, on pourrait même dire que socialement, elle
n'existe plus.
Le
cortège funéraire avance et s'apprête à quitter la ville. C'est
alors qu'un autre groupe, qui veut y entrer. Ce sont les gens qui
accompagnent ce Jésus dont on parle tant, ce Jésus qui (c'était
notre évangile de la semaine dernière) vient de guérir le
serviteur d'un centurion.Et cette rencontre entre les deux groupes
symbolise en fait ce qui est au coeur de notre texte : la
collision entre la mort et la grâce de Dieu.
Je
me demande si les disciples de Jésus s'attendaient à cette
rencontre avec la procession funèbre. Ce n'est jamais quelque chose
de plaisant, surtout quand c'est inattendu. Surtout, je crois
qu'aujourd'hui encore (aujourd'hui encore plus en fait!!) nous avons
du mal à nous confronter à la mort. Voilà pourquoi ceux qui nous
promettent l'éternelle jeunesse à coup de médecine douce, de botox
ou d'autres choses ont tant de succès.
Mais
Jésus, lui, n'a pas peur de se confronter à la mort. Luc nous dit :
Le
Seigneur la vit ; il fut ému par elle et lui dit : Ne
pleure pas !
Une
question à toujours nous poser quand nous lisons les Evangiles est
la suivante : comment est-ce que Dieu se montre à nous à
travers Jésus-Christ ? Ici, nous voyons un Dieu qui nous voit,
y compris dans les pires circonstances imaginables. Nous voyons aussi
un Dieu « ému ». En fait, le grec veut dire « pris
aux tripes ». Mes frères et soeurs, Dieu est sensible à nos
souffrances, à nos doutes, à nos questionnements, à nos peurs, et
il veut nous en retirer. La plupart des grandes religions se sont
construites sur l'idée d'un Dieu impassible, grandiose, lointain!
Notre Dieu n’est pas le «dieu grec de l'Olympe» qui regarde de
très loin la terre. Israël, déjà dans l'Ancien Testament, avait
reçu la révélation d'un Dieu proche, paternel, familier !
Enfin, nous voyons un
Dieu qui nous parle.
Jésus
dit à la femme « ne pleure pas ». Nous rendons-nous
compte de l'inconvenance choquante de cette parole ? Vous
imagineriez-vous dire à un ami qui vient de perdre un être cher
« ne pleure pas ? ». Mais Jésus peut dire « ne
pleure pas » à cette femme qui vient de tout perdre parce
qu'il est vraiment Dieu, et Dieu agissant. Et Jésus agit : Il
s'approcha et toucha le cercueil. Ceux qui le portaient s'arrêtèrent.
Il dit : Jeune homme, je te l'ordonne, réveille-toi ! 15Et
le mort s'assit et se mit à parler.
Là
encore, nous pouvons facilement passer à côté de tout ce que Jésus
accomplit par ces actes. Ce dont il faut se souvenir, c'est que le
contact avec un mort était sensé rendre impur. Jésus n'a cure de
tout cela. Il n'hésite pas à transgresser la loi pour entrer dans
une logique de vie. Jésus n'a jamais craint de toucher
l'intouchable. Encore aujourd'hui, il n'y a aucune partie de nos
vies, même celle qui nous paraissent les plus sales et inommables,
où il ne veut pas apporter la purification et la guérison.
On
dit qu'il y a dans cette histoire une résurrection. Moi, j'en vois
deux. La résurrection du fils de la veuve est une image du pouvoir
de Jésus sur la mort, qui préfigure sa résurrection glorieuse au
matin de Pâques. Mais avant cela, on peut dire aussi que Jésus rend
la vie à la veuve. Il la libère de sa déchéance, de la pauvreté
à laquelle elle était condamnée. Ce sont là des choses toutes
pratiques et matérielles, mais Jésus est Seigneur de cela aussi, il
veut agir dans ces domaines là aussi ; et nous aurions tort de
ne voir en lui que celui qui nous garantit « une place au
Paradis ». L'oeuvre de Christ est infiniment plus grande que
cela, mes amis, et elle a des répercussions dès maintenant, dans
notre vie de tous les jours. Ne limitons pas Jésus. Laissons le
Seigneur de la vie être le seigneur de toute notre vie, dans ces
moindres détails.
L’enfant
ressuscite. Et là, c’est l’explosion de joie. De tous. Pas
seulement l’enfant qui n’avait probablement pas vu grand chose,
pas seulement la maman qui voyait d’un coup son fils bien-aimé
revenir à la vie, et qui retrouvait par la même occasion son espoir
pour le lendemain, mais c’est tous qui manifestent une joie
extraordinaire. Un seul est sauvé, mais tous se sentent sauvés,
revivre, réintégrés dans la vie. C’est tout le cortège, les
deux cortèges qui sont relevés par la vie. On avait cru être à la
frontière de la mort, tous se sont retrouvés à la frontière de la
vie, comme balancés de l’autre côté de la frontière.
Tous
ces gens connaissent l'Ancien Testament bien sûr, et ce que Jésus
vient d'accomplir leur rappelle qu'Elie avait fait la même chose
pour une autre veuve des siècles plus tôt. Elie, un des plus grands
messagers de Dieu dans l'ancienne alliance. Alors naturellement les
gens disent : « Un
grand prophète s'est levé parmi nous, et : Dieu est intervenu
en faveur de son peuple. ». En fait, Luc nous pose ici la
question de l'identité de Jésus. Oui, il était prophète, mais
beaucoup plus que prophète. Il était le Fils de Dieu lui-même.
Oui, Jésus a ressuscité le fils de la veuve ; mais il a fait
plus : il a accepté de passer par la mort pour que nous
puissions avoir la vie.
Je
vous ai parlé des deux cortèges qui se rencontrent dans l'évangile
de ce jour. La
question est alors de savoir si nous faisons partie du cortège
enthousiaste et désordonné qui suit Jésus, ou si nous faisons
partie du triste cortège sans espoir qui marche vers des frontières
funestes. La question pourrait être posée à titre individuel, mais
je crois que c’est respecter le texte que de se la poser plutôt de
façon communautaire : notre Eglise, ou même l’Eglise chrétienne,
est-elle en train de suivre de façon imparfaite, mais joyeuse, le
Christ, ou est-elle en train de se morfondre, de se plaindre de ce
qu’elle a perdu, de ce qu’elle ne retrouvera plus, de ce que les
choses ne sont plus comme avant, de ce que l’avenir est sombre et
sans espoir. Sommes-nous dans le cortège de la vie ou dans celui de
la mort ? Je n’ai pas la réponse. Mais si nous sommes dans le
cortège de vie, enthousiaste et un peu bruyant, à la suite du
Christ, il nous faudra alors franchir quelques frontières. Il nous
faudra oser confronter la mort et ne pas avoir peur d'être contaminé
par « l'impureté ». Il faudra refuser de détourner le
regard. Pourquoi ? parce que la vie de la communauté toute entière,
la joie de l’Eglise en dépend.
Et
si nous sommes dans le cortège funèbre : celui où l’espoir est
difficile à voir. Où les perspectives d’avenir ne sont plus
perceptibles, où les projets n’existent plus, où le moribond
l’emporte sur le vivifiant, alors, Luc nous laisse cet espoir : il
y a quelque part, un cortège de vie, qui vient à notre rencontre.
Il est conduit par le Christ et à sa suite marchent des gens qui
n’hésiteront pas, eux à franchir les limites, pour nous redonner
vie. Amen
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