samedi 23 octobre 2010

LUC 18.9-14




18.9
Il dit encore cette parabole, en vue de certaines personnes se persuadant qu'elles étaient justes, et ne faisant aucun cas des autres:
18.10
Deux hommes montèrent au temple pour prier; l'un était pharisien, et l'autre publicain.
18.11
Le pharisien, debout, priait ainsi en lui-même: O Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont ravisseurs, injustes, adultères, ou même comme ce publicain;
18.12
je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tous mes revenus.
18.13
Le publicain, se tenant à distance, n'osait même pas lever les yeux au ciel; mais il se frappait la poitrine, en disant: O Dieu, sois apaisé envers moi, qui suis un pécheur.
18.14
Je vous le dis, celui-ci descendit dans sa maison justifié, plutôt que l'autre. Car quiconque s'élève sera abaissé, et celui qui s'abaisse sera élevé.



Chers frères et soeurs,
chers amis,

Je dois vous le dire, j'ai eu un peu de difficulté à choisir le texte sur lequel j'allais prêcher aujourd'hui. Il y avait de belles choses à dire sur nous deux premières leçons, et cependant, j'ai préféré prêcher sur l'Evangile d'aujourd'hui. Pourquoi? Parce qu'il me semblait dommage de passer à côté du lien qui unit notre hsitoire d'aujourd'hui à l'Evangile de la semaine dernière.
Vous vous souvenez (enfin, j'espère) que nous avons vu la semaine dernière la parabole du juge inique, qui est centrée sur la nécessité d'une prière persévérante. Notre histoire d'aujourd'hui aussi parle de prière, mais dans son cas, cette thématique n'est pas clairement énoncée: elle est plutôt là « en creux », si vous voulez. En fait, ce que ce récit nous apprend, c'est ce que doit être une vraie prière, et comment celle-ci ne peut naître que d'une relation juste avec Dieu.

Un autre point commun entre les deux histoires est la présence de deux personnages principaux que nous pourrions désigner comme « les méchants »: le juge inique et le Pharisien. Dans le cas de notre récit d'aujourd'hui, il faut reconnaître que nous, chrétiens du 21ème siècle, avons tendance à lire le Nouveau Testament avec un préjugé négatif contre les Pharisiens, que nous voyons si souvent s'opposer à Jésus.
Mais, à l'époque, pour ceux qui entendaient le message de Jésus et plus tard pour certains des premiers lecteurs du Nouveau Testament, les Pharisiens étaient des gens très bien, pieux, solides, des modèles pour le peuple. « Séparés » ou « purs » comme l'indique le nom de leur mouvement, les Pharisiens étaient des membres honorés de leur communauté. Mettons-nous bien ça dans la tête: l'image du Pharisien était globalement positive!!

Et c'est normal: des gens qui étudiaient la Loi avec autant de zèle et faisaient preuve d'une telle sainteté ne pouvaient pas être vraiment mauvais n'est-ce pas?? Surtout qu'il ne s'agissait pas d'une petite loi...

Les Pharisiens abordaient la Loi comme Torah, Mishna et Talmud. La Torah, nous connaissons, c'est ce que nous appelons l'Ancien Testament (ou Bible Hébraïque si vous voulez faire chic). La Mishna contenait des instructions détaillées destinées à guider les fidèles dans l'application concrète des règles de la Torah (avec parfois plusieurs chapitres de Mishna pour un verset de Torah). Et puis, en plus, il y avait le Talmud, un commentaire de la Mishna (avec plusieurs livres de Talmud pour un chapitre de Mishna). Et pour rendre les choses encore plus faciles, la Mishna et le Talmud étaient essentiellement des traditions orales, qui devaient être mémorisées.

Notre Pharisien connaît la Loi, ses 613 commandements et tout le reste, et il veut que ça se sache, y compris au plus haut des cieux. Bien sûr, on n'a même pas besoinde dire qu'il n'y arien à voir entre lui et les voleurs, les adultères et autres pécheurs grossiers! Non, lui, il est plutôt du style à aller au-delà des exigences de la Loi. La Torah n'impose qu'un seul jeûne par an? Il s'abstient de nourriture deux fois par semaine, ma bonne dame. La Torah demande la dîme de certaines parties des revenus? Il donne 10% de tous ses biens, mon bon monsieur. C'est sûr, s'il y a quelqu'un qui mérite bien d'aller au Ciel, c'est bien lui. Il en est d'ailleurs persuadé!

L'autre personnage, c'est un collecteur d'impôts. Et là encore nous devons faire l'effort de nous replacer dans la mentalité de l'époque où les « péagers » étaient vus comme des collaborateurs du pouvoir romain, souvent portés à extroquer encore plus d'argent que demandé pour pouvoir se remplir les poches.

Les deux hommes s'en vont prier au Temple, lieu de la présence divine.

Le Pharisien se tient debout, sans doute les bras étendus,position habituelle de la prière. Le problème n'est pas son attitude corporelle mais spirituelle. La plupart de nos traductions disent qu'il « prie en lui-même ». Mais certains préfèrent dire qu'il prier « pour lui-même » ou même qu'il se « prie lui-même ». Premier mauvais signe: la prière s'adresse à un plus grand que soi, mais le Pharisien a une tellement haute opinion de lui-même que sa prière est centrée sur lui-même.
Bien sûr, il s'adresse à Dieu, mais on sent bien que sa prière n'est là que pour lui confirmer qu'il est parmi l'élite religieuse, bien au dessus de cette vermine pécheresse. Merci Seigneur, je ne suis pas comme eux, et surtout pas comme ce sale type; ce collecteur d'impôt qui est près de moi. Moi, je jeûne plus que tous les autres et je donne plus que tous les autres. Regardez-moi: je suis vraiment un être d'exception.

Je me souviens que, quand j'habitais à Paris, des dessinateurs s'installaient sur les bords de la Seine et proposaient aux passants de faire leur caricature. Vous connaissez le principe de la caricature; il s'agit de grossir à l'extrême ce qui est bien présent. Par exemple, quelqu'un avec un nez fort va se retrouver avfec un énorme tarin, quelqu'un avec des oreilles légèrement décollées va se voir doter de véritables antennes paraboliques, etc... La caricature force le trait, grossit de façon démesurée: c'est ce que la caractérise...

Et bien, ici, il est clair que Jésus caricature. Bien sûr, les Pharisiens se croyaient supérieurs. Bien sûr ils priaient,de façon très réelle, pour remercier Dieu en pas les avoir fait naître dans certaines catégories (notamment celle des femmes). Mais là, Jésus force le trait, c'est tellement gros qu'on sent même qu'il introduit une pointe d'humour pour faire passer son message...

Mais ce que Jésus veut nous faire comprendre, c'est que nous ressemblons beaucoup plus à cette caricature que nous ne sommes prêts à le reconnaître.
Notre nature est ainsi faite que nous courons toujours le risque de faire de notre propre personne le centre de notre vie spirituelle. Celle-ci n'est plus alors basée sur ce que Dieu a fait pour nous, mais sur ce que nous sommes ou sur que nous faisons. Il y a beaucoup d'idôles, de faux dieux en ce monde. N'oublions jamais que nous pouvons devenir notre propre idole, comme le Pharisien.

Mais alors, comment prier? Regrdez le collecteur d'impôts. Il se place à distance, dans l'ombre. Il n'est pas là pour être vu. Il ne lève pas les yeux au Ciel pour bien montrer aux autres qu'il est en train de prier. Il est là pour déverser son coeur devant son Dieu, pour être déchargé du poids d'un péché qu'il ne peut plus porter et être libéré.

Sa prière n'est pas longue, elle n'est pas un modèle d'éloquence. Pas de grands mots et de phrases compliquées. Juste dix mots dans notre traduction: O Dieu, sois apaisé envers moi, qui suis un pécheur. C'est clair non? Pas besoin d'aller chercher dans un dictionnaire pour comprendre, pas besoin de connaître le grand vocabulaire théologique pour discerner des nuances. Il n'y a là que la prière d'un homme qui se reconnaît coupable. « O Dieu, sois apaisé envers moi, qui suis un pécheur ». Dix petits mots, mais des mots qui peuvent plus faire bouger les cieux que des années et des années de pratique pharisienne.

La fin de l'histoire, nous la connaissons. Jésus dit que le collecteur d'impôts est retourné chez lui justifié, contrairement au Pharisien. Le méchant, malgré tout ce qu'il a fait, est déclaré juste devant Dieu, réconcilié avec le Seigneur. Le gentil, malgré tout ce qu'il a fait, n'arrive même pas à établir le contact avec Dieu. C'est bien comme ça que les gens qui entouraient Jésus ont compris cette histoire.
Ce que cette histoire nous enseigne, c'est que Dieu ne fontionne pas sur les principes du monde. Dans le monde, les humbles courent souvent le risque de devenir le paillasson des autres, d'être oubliés sur les tableaux d'avancement, d'être méprisés même. Malheur à ceux qui ne savent pas montrer les dents, dans cette société où l'on parle d'autant plus de solidarité que la loi de la jungle s'étend.La loi de la jungle, c'est celle qui convient bien à ceux qui savent s'élever, se mettre en avant et sous les projecteurs. Ceux-là peuvent espèrer une belle carrière, de bons postes, la considération des autres pour les « gagneurs ». Comme le dit Alain Souchon dans l'un de ces textes "les cadors on les r'trouve aux belles places, nickel; les autres c'est Saint-Maur-Chateauroux-Paris, plus d'ciel"


Mais Dieu est différent. Dieu élève ce qui est abaissé et abaisse ce qui est élevé. Comme le dit Pierre« Le Seigneur résiste aux orgeuilleux mais il donne sa grâce aux humbles » (1 Pierre 5.5).

En conclusion, je voudrais soulever un point que nous n'avons pas encore vu: à qui s'adresse cette parabole? « à certaines personne qui se persuadaient d'être justes et méprisaient les autres ». Beaucoup de commentateurs estiment qu'il s'agit là des Pharisiens, mais je ne suis pas persuadé par cette thèse. Certes, un Pharisien apparaît dans la parabole, mais justement, si Jésus avait voulu s'en prendre aux Pharisiens, il l'aurait fait de façon plus fine et pédagogique. On peut donc penser que les « propres justes » que Jésus veut mettre en garde était des gens de son entourage, des gens qui s'étaient mis à sa suite, des disciples.
Disciples de Jéus, recevant aux pieds du Maître le message de la centralité absolue de la grâce et pourtant remplis d'orgueil! Quelle pathétique contradiction!
Dans cas cas, Jésus adresse à ces gens un message « vous vous prenez pour des gens très bien; comme les Pharisiens, vous écrasez les autres de votre mépris. Et bien laissez-moi vous dire que le pire pécheur repentant à plus accès au Père que chacun d'entre vous ».

Il est sans doute dommage qu'en méditant ensemble cette parabole, nous ne puissions plus naturellement percevoir à quelle point elle était choquante pour ceux qui l'ont entendue.
Mais globalement, frères et soeurs, pouvons-nous dire que nous percevons bien le caractère choquant de l'Evangile de Jésus-Christ? Le caractère choquant du message qui dit qu'il suffit de croire en Christ pour que nos péchés soient pardonnés et que nous devenions de nouvelles créatures? Le caractère choquant que nos oeuvres n'ont aucun rôle à jouer dans notre justification? Le caractère choquant du message radical de la grâce, avec toutes ses conséquences dans nos vies?

L'Evangile est choquant, parce qu'il bouscule nos schémas; la grâce est choquante, parce qu'elle bouleverse tout, y compris nos pauvres petits moralismes. Ils sont choquants tous les deux parce qu'ils nous libèrent, alors que si souvent, nous préfèrerions n'avoir qu'à suivre un code de bonne conduite et consulter le manuel pour avoir les bonnes réponses.

Je vous ai dit tout à l'heure que c'était une pathétique contradiction que de voir des gens qui s'étaient mis à la suite de Jésus mettre leur confiance dans leur propre justice. Contradiction qui est aussi un avertissement qui nous disons chrétiens.


Nous disons que tous nos péchés sont pardonnés par le sang de Jésus qui a coulé à la croix pour nous. Frères et soeurs, je vous pose la question: tirons-nous toutes les conséquences de cette affirmation? Savons-nous nous dépouiller de tout sentiment de supériorité, comme des gens qui savent que tout ce qu'ils ont, c'est un autre qui le leur a donné? Sommes-nous vraiment délivrés de tout sentiment de culpabilité? Sommes-nous vraiment libérés pour servir le Seigneur et témoigner de son amour auprès de ceux qu'il a placés près de nous? En un mot, avons-nous pleinement accueilli la grâce et en vivons-nous?


Tout nous y invite, répondons à cet appel.


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