38 Jésus disait, dans son enseignement : Gardez–vous des scribes ; ils aiment se promener avec de longues robes, être salués sur les places publiques,
39 avoir les premiers sièges dans les synagogues et les premières places dans les dîners ;40 ils dévorent les maisons des veuves et, pour l’apparence, ils font de longues prières. Ils recevront un jugement particulièrement sévère.
41 ¶ S’étant assis en face du Trésor, il regardait comment la foule y mettait de la monnaie de bronze. Nombre de riches mettaient beaucoup.
42 Vint aussi une pauvre veuve qui mit deux leptes valant un quadrant.
43 Alors il appela ses disciples et leur dit : Amen, je vous le dis, cette pauvre veuve a mis plus que tous ceux qui ont mis quelque chose dans le Trésor ;
44 car tous ont mis de leur abondance, mais elle, elle a mis, de son manque, tout ce qu’elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre.
Chers frères et sœurs,
Les textes de l'Ancien Testament et de l'Evangile de ce dimanche nous montrent deux histoires assez parallèles. Les histoires de deux veuves, les histoires de deux dons.
J'ai remarqué qu'un certain nombre de mes collègues pasteurs font de ce dimanche où nous lisons ces deux passages un "culte d'offrandes". Je sais bien que nous approchons de la fin de l'année fiscale, je sais bien que trop des trésoriers s'inquiètent en ce moment, je sais bien que trop nombreux sont ceux qui ont "oublié" d'envoyer la moindre cotisation, mais prendre cette direction, c'est prendre de grands risques.
Le premier d'entre eux est de ne lire l'histoire de la pauvre veuve qui donne ses deux uniques piécettes de monnaie dans le tronc du Temple que de manière anecdotique et d'en faire, par l'exemple, l'illustration d'une morale générale: "le pauvre sait se montrer plus généreux que le riche".
Cela n'est pas faux, bien sûr…et peut être souvent constaté par l'expérience… mais est-ce bien là le cœur de ce que Jésus cherche à nous faire comprendre? D'ailleurs, il ne s'agit pas ici d'opposer la générosité de la gentille pauvre veuve à l'avarice des méchants riches. Marc dit bien que "les riches mettaient beaucoup", pas de souci de ce côté-là!
Un second risque serait aussi de nous culpabiliser, car quelle que soit la somme que nous donnons, nous restons tous des riches qui donnent de leur superflu, nous qui avons la chance de vivre dans un pays où l'on mange à sa faim, dans un pays où nous pouvons être soignés à un prix qui reste dérisoire par rapport à ce qui existe ailleurs! Nous devons être conscients de cela, mais si nous en restons là, nous risquons de quitter ce temple comme le jeune homme riche après sa rencontre avec Jésus, qui s'éloigna tout triste, car il n'arrivait pas à se détacher de ses biens… Nous avons alors entendu la Loi, et seulement elle. Et ce qui importe, c'est d'arriver à entendre l'Evangile dans le texte de ce matin.
Regardons bien notre texte et demandons-nous: qui Jésus prend-il en contre-exemple du geste de la veuve? Ce ne sont pas les riches en tant que tels, ce sont les scribes! Notre texte commence en effet de manière surprenante par cet avertissement à ses disciples : "méfiez-vous des scribes, qui aiment à sortir en robes solennelles et aiment les salutations sur les places publiques"...Et juste après, Jésus commente l'acte de la pauvre veuve. Nous ne sommes donc pas dans le domaine de la morale (voire du moralisme) mais dans celui de la religion, de notre relation avec le Père. Jésus critique les dignitaires religieux de son temps qui, selon lui, pervertissent ce qui est l'essence de la religion et il voit en la veuve la vraie attitude de l'être humain devant Dieu.
Cet épisode s'inscrit d'ailleurs dans le contexte beaucoup plus vaste du combat que Jésus mène après son entrée à Jérusalem contre la religion formaliste et desséchée du Temple et ceux qui en sont les piliers: les prêtres, les scribes, les anciens. C'est dans ce contexte que Jésus chasse les marchands du Temple, qu'il maudit un figuier qui ne porte pas de fruits et qui est pour lui, en fait, le symbole de la religion stérile d'Israël, incapable de nourrir qui que ce soit. Et, après notre texte, Jésus annonce la destruction du Temple et de tout son système religieux vermoulu, juste avant que ne commence le récit de la Passion, où il va être livré pour nous.
On ne peut douter qu'en regardant qu'en contemplant le geste de cette femme qui, donne tout ce qu'elle a en jetant ces deux piécettes dans le tronc, Jésus pense aussi à son propre destin, à sa vie de pauvre qui va être entièrement donnée, sans réserves, sans calculs, en offrande pour la vie du monde. Comme cette pauvre veuve, Jésus va devoir aussi tout donner, pour qu'en son corps meurtri le vrai Temple se manifeste, le lieu où la rencontre entre l'homme et Dieu pourra se produire… non plus dans ce temple fait de main d'hommes que les hommes religieux ont perverti en en faisant un instrument de marchandage avec Dieu, mais son corps offert entièrement au Golgotha et ressuscité par le Père au matin de Pâques, qui nous ouvre à la religion de la gratuité absolue, de l'Amour inconditionnel, de la Grâce! Une mort non pas inutile, ni stérile, mais qui produit des fruits pour tous ceux qui entrent dans ce mystère.
Vous voyez, frères et sœurs, il y a bien plus ici qu'un appel à mettre plus dans la collecte! Notre texte nous pose une question: quelle religion vivons-nous? Est-ce cette religion des scribes pour laquelle Jésus a des paroles si dures? Une religion dont nous nous servons pour acquérir des privilèges pour nous-mêmes et exercer un pouvoir sur autrui, une religion qu'on pourrait qualifier de "mondaine" et d'exhibitionniste, lorsque nous cherchons les "salutations" et "les premières places", une piété hypocrite et peut-être même criminelle, puisqu'elle "dévore les biens des veuves", au lieu de les protéger . Une religion donc où nous utilisons notre statut d'homme ou de femme d'Eglise pour notre propre profit (pas tellement financier sans doute, mais aussi de prestige, de vanité, de soif de pouvoir) au détriment des plus faibles. Ou vivons-nous la religion de la veuve indigente, une religion du don de soi total, une religion sans marchandage avec Dieu, sans calcul, religion d'une vie simplement offerte à Dieu et aux autres. Ce que le geste de la pauvre veuve nous montre, et que Jésus nous donne en modèle, c'est une religion qui n'est dictée ni par l'intérêt, ni par la peur, ni par l'attente d'une quelconque récompense, mais par l'amour seul.
Gardons-nous bien en entendant ce texte de penser "ah lui, il est bien comme les scribes. Et puis quand on sait ce qu'il a sur son compte en banque, il pourrait donner plus!". Non, il ne s'agit pas ici de juger autrui, mais au contraire de rentrer en nous-mêmes, de faire notre propre examen de conscience et de nous convertir chaque jour afin de ressembler toujours plus à Jésus-Christ. En chacun de nous, il y a cette forme de religion pervertie par notre égoïsme fondamental, où nous plaçons notre "ego", notre "moi religieux" au centre et où nous transformons les plus nobles réalités de la foi et de la piété pour notre propre gloire… et il y a aussi une autre forme de religion qui cherche sincèrement la gloire de Dieu et où nous nous oublions nous-mêmes dans des gestes d'amour pour autrui sans en chercher de bénéfices… Jésus, dans ce texte, nous invite à laisser croître en nous cette dimension de gratuité, d'ouverture à l'autre, de don de nous-mêmes parce que nous avons reçu le don de Dieu.
Car notre foi, frères et sœurs, est centrée sur le don. Il y a d'abord, et avant tout, le don (grâce, charis en grec) que Dieu nous fait de son Fils afin que nous soyons libérés. Et nous aussi, en tant que Chrétiens, nous sommes appelés au don. Le don financier, certes, mais ce n'est qu'un aspect parmi bien d'autres. Mais vous rendez-vous compte qu'en venant au culte, vous donnez? Vous donnez votre présence et l'encouragement qu'elle apporte à toute la communauté. Vous donnez votre prière pour les peines de vos frères et du monde. Vous donnez, pour les parents du catéchisme, la possibilité à vos enfants de découvrir leur Sauveur et d'avoir les bases d'une vie vraiment heureuse.
Peut-être cela vous paraît bien peu, dérisoire peut-être. Peut-être vous dites vous que vous n'avez pas grand-chose à offrir.Ce serait oublier autre chose que nous apprennent nos textes. Car, dans les deux cas, nous voyons Dieu approuver et utiliser le don de deux veuves, c'est-dire-dire, des personnes parmi les plus faibles, les plus insignifiantes de cette époque. Cela fait écho à l'histoire de ce jeune garçon (encore un moins que rien) qui a donné les cinq pains et les deux poissons dont Jésus s'est servi pour nourrir 5000 hommes. Le texte grec dit que la veuve a "pris de son manque pour donner toute sa vie". Vous avez l'impression de n'avoir rien à donner? Regardez à cette veuve qui n'a que des manques: manque d'argent, mais aussi manque de force, de dignité…et qui arrive à faire de ces manques accumulés (0+0+0, ça donne toujours 0) l'occasion d'un don total d'elle-même. Ce à quoi Jésus nous invite aujourd'hui, c'est à reconnaître que c'est là où nous nous sentons les plus démunis, les plus incapables, les plus pauvres, que nous pouvons rencontrer l'autre. Alors nous comprendrons ces paroles de Paul "c'est quand je suis faible que je suis fort" et nous suivrons les pas de Jésus-Christ:
"Vous connaissez la grâce de Jésus Christ: lui qui était riche, il s'est fait pauvre pour nous, afin de nous enrichir par sa pauvreté".
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