mercredi 17 octobre 2007

Genèse 12, 1-4a

L'Éternel dit à Abram: Va-t-en de ton pays, de ta patrie, et de la maison de ton père, dans le pays que je te montrerai.
Je ferai de toi une grande nation, et je te bénirai; je rendrai ton nom grand, et tu seras une source de bénédiction.
Je bénirai ceux qui te béniront, et je maudirai ceux qui te maudiront; et toutes les familles de la terre seront bénies en toi.
Abram partit, comme l'Éternel le lui avait dit, et Lot partit avec lui. Abram était âgé de soixante-quinze ans, lorsqu'il sortit de Charan.

Frères et sœurs, si Abraham avait été raisonnable et prudent, il serait resté tranquillement chez lui en Chaldée. Du coup, il ne serait pas devenu l’ancêtre du Christ et le père des croyants, et peut-être même ne serions-nous pas ici, à cette heure, pour célébrer ce culte. Tout allait bien pour lui. Il avait une maison, une femme, des parents et des amis, de grands troupeaux. Il était riche et avait tout pour être heureux. Il est vrai qu’il n’avait pas d’enfants. Mais à part cela, tout allait bien et il n’avait aucune raison au monde de quitter l’endroit où il vivait, de s’expatrier pour aller vers l’inconnu. En un mot, émigrer et devenir une sorte de sans-papiers. Et pourtant c’est ce qu’il fit. Il avait soixante-quinze ans, trente ans de plus que moi, quand il abandonna tout. Et lorsque les gens lui demandaient où il comptait aller, il ne pouvait que leur répondre : « Je n’en sais rien. C’est Dieu qui me demande de partir. Il doit savoir, lui ! » Ses voisins et ses amis ont dû lui dire : « Mais tu es fou, Abraham ! On ne quitte pas son pays comme ça ! La première tribu de bédouins venue te tombera dessus et prendra ton troupeau. Te rends-tu compte aussi de ce que tu imposes à ta femme ? Quand on a ton âge, on reste tranquillement à la maison et on soigne ses rhumatismes ! »
Quatre-mille ans ont passé depuis, mais ce qui est arrivé à Abraham reste d’une incroyable actualité. Pour chacun de nous. Car ce qui a poussé Abraham à ne pas agir de façon raisonnable peut nous aider à comprendre pourquoi nous avons pris nous aussi un risque, moins audacieux certes, mais un grand risque quand même, le risque de la foi.
Frères et sœurs, il y a trois raisons qui font que nous prenons le risque de la foi : Dieu nous parle ; Dieu nous séduit par ses promesses ; Dieu tient parole.



1) Nous prenons le risque de la foi, parce que Dieu nous parle.

« L’Eternel dit à Abram : quitte ton pays, ta patrie et la maison de ton père, et va dans le pays que je te montrerai. » J’avoue que j’aimerais bien savoir ce qui s’est passé dans la tête d’Abraham, quand Dieu lui demanda de quitter son pays et la maison de son père. J’aimerais savoir s’il a eu un moment d’incompréhension ou de révolte, si le doute a assailli son cœur et s’il s’est dit : « Mais pourquoi tout cela ? Je suis bien là où je suis. Qu’est-ce que le Seigneur attend de moi ? » Ce qu’en a pensé Sara m’intéresserait tout autant. Qu’ont-ils bien pu se dire, le matin au petit-déjeuner, après l’irruption du Seigneur dans leur vie ? Notre texte ne nous dit rien de tout cela. Il se contente de dire que Dieu parla à Abraham et qu’Abraham lui obéit. C’est tout. Le patriarche quitta tout et partit parce que Dieu le lui avait demandé. Dieu avait parlé.
Il nous paraît tout à fait normal que Dieu prenne la parole, qu’il s’adresse aux hommes et qu’il ait des choses à leur dire. Pourtant ils ne sont pas nombreux, les adeptes des religions païennes qui peuvent dire : « Notre dieu nous parle. »
Les dieux des Aztèques et des Incas n’ont jamais parlé à leurs adorateurs. Nzambi, le dieu des Congolais, n’a jamais rien dit aux païens qui le vénèrent.
Les moines et les pèlerins du Tibet, qui agitent inlassablement des moulins à prières, adressent leurs requêtes à des dieux qui ne leur parlent jamais, sans doute parce qu’ils n’ont rien à leur dire. Sommes-nous bien conscients de ce que cela veut dire : le Seigneur du monde, le Créateur de l’univers nous parle ? Il a des choses à nous dire. Il vient au-devant de nous dans sa Parole.
Dieu parla à Abraham, et il le fit avec une telle force que le patriarche se mit en route. On a l’impression qu’il a été atteint au plus profond de lui-même, au point que, même s’il avait voulu, il n’aurait pas pu résister. Saisi par la Parole de Dieu, il fait ce qu’il y a de plus insensé au monde : il prend ce qu’il possède et part pour l’inconnu ! Pas n’importe quel inconnu : le désert de l’actuelle Arabie Saoudite qu’il va arpenter sur des centaines de kilomètres ! Il est comme un cheval qui ne peut qu’aller là où le mène son cavalier, comme le disait Luther.
C’est aussi un peu ce qui nous est arrivé. Pourquoi prenons-nous le risque de la foi ? Pourquoi sommes-nous assez fous pour croire en un Dieu que nous n’avons jamais vu et dont personne ne peut nous prouver qu’il existe ? Pourquoi nous réunissons-nous depuis des années, oui depuis des dizaines d’années, chaque dimanche, pour rencontrer notre Dieu ? Alors que tant de gens autour de nous haussent les épaules quand ils nous voient, qu’ils sourient ou tout simplement nous regardent d’un air étonné ? C’est que Dieu a aussi fait irruption dans notre vie. Il ne nous a pas demandé l’impossible et l’incroyable comme à Abraham.
Aucun de nous n’a entendu une voix retentir du ciel et le bouleverser au point de dire avec le jeune Samuel : « Me voici, Seigneur ! Parle, ton serviteur t’écoute. » Il ne s’est pas dressé devant nous comme devant Saul de Tarse pour nous dire : « Arrête ! Tu fais fausse route ! », nous forçant à changer radicalement de vie.
Abraham, Samuel, Saul auraient pu dire : « Attends ! Qui me dit que c’est bien le Seigneur qui me parle ? Et si j’étais victime d’une hallucination ? Je veux d’abord des preuves avant de m’engager ! » Non, ils n’ont pas dit cela. Abraham entend ce qui pour lui ne peut être que la voix de Dieu. Samuel aussi ! Et Saul que le Christ va transformer en l’apôtre Paul !
Frères et sœurs, quand Dieu nous parle, les circonstances sont des plus simples, des plus ordinaires et des plus modestes. Quand Dieu a-t-il parlé pour la première fois à la plupart d’entre nous ? Le jour de notre Baptême, quand nous avions trois ou quatre semaines. Ce jour-là, Dieu nous a dit quelque chose d’inouï, de formidable. Il nous a dit : « Je t’adopte au nom de Jésus. Tu es à moi. Je suis ton Dieu et ton Père. »
Pendant toute notre enfance, Dieu nous a parlé à travers les histoires saintes que nos parents ou nos grands-parents nous ont racontées. Et nous voilà une fois de plus assis sur les bancs de l’église, et Dieu nous parle. Celui qui avait appelé Abraham, puis Samuel, puis Saul de Tarse, nous fait entendre sa voix en ce moment même pour nous dire des choses qui sont importantes pour nous.
Dieu parle aux hommes de bien des façons et sur des registres bien différents. Beaucoup parmi nous ont été accompagnés chaque jour, depuis leur enfance, par cette Parole de Dieu de telle façon qu’ils ont grandi tout naturellement dans la foi. Sans éclat, sans qu’ils aient eu à prendre des décisions draconiennes et bouleversantes, sans qu’ils aient été taraudés dans leur conscience et appelés à faire un choix qui a tout changé dans leur vie. Pour la plupart d’entre nous, c’était une chose tout à fait évidente de croire en ce que Dieu nous dit dans sa Parole. Mais il y en a d’autres pour qui ce n’était pas évident du tout. Pour qui croire en Dieu, lui confier sa route, lui soumettre sa volonté n’allait pas de soi. Ils ont dû rompre avec leur passé, rompre avec leurs anciennes habitudes et leurs anciens passe-temps, peut-être même avec leurs anciens amis, voire avec leur famille. Peut-être y en a-t-il parmi nous qui ont eu leur chemin de Damas, qui ont été magistralement frappés, littéralement renversés par une parole de Dieu qui ne les a plus lâchés et qui a tout changé dans leur vie.
Et puis il y en a peut-être aussi pour qui, aujourd’hui encore, il n’est pas évident de croire en lui et de confesser son nom. Des chrétiens qui sont agités, peut-être même minés par le doute, poursuivis par des questions auxquelles ils n’ont pas de réponses. Des chrétiens qui connaissent la peur et les interrogations et qui tremblent en prenant le risque de la foi. Des chrétiens qui se disent : « Et si tout cela n’était que rêve et illusions ? »
Qu’il est bon de savoir que la foi est un don de Dieu, qu’elle ne dépend pas de notre bonne volonté, des dispositions de notre cœur, de nos émotions ou de nos sentiments ! De savoir qu’on n’a pas besoin d’être un champion ni un héros de la foi pour avoir droit au titre de chrétien ! Qu’il est bon, oui, d’entendre que pour être authentique, notre foi n’a pas besoin d’être héroïque ! « Abraham crut en l’Eternel qui le lui imputa à justice », nous dit la Bible (Genèse 15, 6). Et il crut parce que Dieu avait parlé. « La foi vient de ce qu’on entend » (Romains 10, 17). Dieu nous appelle dans sa Parole comme il a appelé Abraham. Et il le fait de bien des façons ! Au point que nous sommes parfois tout étonnés de constater que nous croyons en lui et que nous l’aimons de tout notre cœur, alors que tout dans ce monde voudrait nous rendre la chose impossible. Nous prenons le risque de la foi parce que Dieu parle.


2) Nous le prenons aussi parce que Dieu nous séduit.

Il nous attire à lui en nous faisant de merveilleuses promesses.
Abraham a soixante-quinze ans. Ce n’est plus l’âge où l’on fait des enfants. Alors que bien des couples de nos jours font le choix de ne pas en avoir parce qu’ils ont le sentiment que leur union n’est pas assez stable, parce que c’est beaucoup de responsabilités et de travail ou qu’un bébé pourrait compromettre leur carrière, alors que chaque semaine on en détruit - en France - plus de cinq mille dans le ventre de leur mère parce que leur naissance n’est pas souhaitée, à l’époque d’Abraham ne pas avoir d’enfant était considéré comme une catastrophe. Non seulement pour assurer ses vieux jours et ne pas terminer sa vie dans la misère, mais aussi parce que sans enfants on tombe dans l’oubli : c’est comme si on n’avait pas existé.
Abraham en avait pris son parti, quand Dieu lui dit : « Je ferai de toi une grande nation et je te bénirai. Je rendrai ton nom grand, et tu seras une source de bénédiction. » Son nom ne s’éteindra jamais. La preuve : aujourd’hui encore on parle de lui. Des millions de gens savent qui est Abraham. Et ce n’est pas tout. Dieu lui dit : « Je bénirai ceux qui te béniront et je maudirai ceux qui te maudiront, et toutes les familles de la terre seront bénies en toi. »
C’était non seulement la promesse d’un enfant qui prendrait soin de son vieux couple, mais encore l’annonce qu’il serait l’ancêtre du Rédempteur d’Israël.
« Le salut vient des Juifs », dit Jésus lui-même, le descendant direct du patriarche, celui en qui Dieu s’est incarné pour apporter au monde ce dont nous avons tous le plus besoin, le pardon et la vie.
Nous admirons la foi héroïque d’Abraham. Nous nous demandons où il a trouvé le courage de faire ce que le Seigneur lui a demandé. La réponse est claire ; elle ne fait pas l’ombre d’un doute. Il n’est pas parti comme ça à l’improviste, les yeux bandés, tout simplement parce que le Seigneur le lui avait ordonné. Non, il était fort d’une promesse incroyable par laquelle Dieu l’a séduit, littéralement attiré à lui. Il renonce à tout ce qu’il a et se met en route ! Avec sa femme et ses troupeaux, et surtout avec Dieu. Et, croyez-moi, quand on marche avec un Dieu comme ça, on sait où l’on va.
Frères et sœurs, nous ne croyons pas simplement parce que Dieu, dans sa Parole, nous le demande. Si nous croyons en lui et nous réunissons dimanche après dimanche, c’est parce qu’il nous a séduits par des promesses encore plus claires et plus lumineuses que celles faites à Abraham. La promesse qu’il nous aime, qu’il marche avec nous, qu’il nous bénis, qu’il nous pardonne toutes nos fautes et nos erreurs, nos péchés et nos infidélités. La promesse qu’il nous offre une vie plus forte que la mort, qui ne finira jamais et qui nous inspirera dans le ciel des chants de joie dont nos faibles louanges d’aujourd’hui ne sont qu’un tout petit prélude.
Cette promesse proclamée dans l’Evangile, scellée dans notre Baptême, confirmée dans l’Eucharistie par le corps et le sang du Christ, n’est pas plus logique ou sensée que celle faite à Abraham. Nous ne pouvons pas davantage la tester qu’Abraham n’a pu tester la sienne, mais nous pouvons comme lui nous fier à elle, car cette promesse trouve comme la sienne son accomplissement en Jésus-Christ. Cette promesse nous fait dire avec Paul : « Je regarde toutes choses comme une perte, à cause de l’excellence de la connaissance de Jésus-Christ mon Seigneur, pour lequel j’ai renoncé à tout. Je les regarde comme de la boue, afin de gagner Christ et d’être trouvé en lui, non avec ma justice, celle qui vient de la loi, mais avec celle qui s’obtient par la foi en Christ, la justice qui vient de Dieu par la foi. Ainsi je connaîtrai Christ et la puissance de sa résurrection » (Philippiens 3, 8-10).
Puisse Dieu nous séduire comme il a séduit Abraham ! Et puissent les promesses qui nous sont faites en Jésus-Christ nous faire prendre avec confiance et joie le risque de la foi !

3) Frères et sœurs, nous prenons le risque de la foi parce que Dieu nous parle.

Nous le prenons aussi parce que Dieu nous séduit par ses promesses. Nous le prenons enfin parce que Dieu tient parole. Il est si facile de se laisser séduire par de fausses promesses. Bien des gens en ont fait l’amère expérience. Pas Abraham. Toute son histoire est là pour nous montrer que Dieu a tenu parole. Le patriarche eut le fils promis. De son fils Isaac est sorti un grand peuple, et de lui la postérité qui a immortalisé le nom d’Abraham sur tous les continents : Jésus-Christ. Des millions et des millions d’hommes ont confessé et confessent encore leur foi en cette postérité bénie d’Abraham.
Dieu tient parole. L’histoire de son peuple commença avec un homme qui vivait il y a quatre mille ans dans le nord de l’Irak. Et quarante siècles plus tard, nous sommes réunis ici et d’innombrables chrétiens le sont ailleurs dans le monde pour admirer ce Dieu de bonté et d’amour qui a tenu sa promesse. Nous pouvons jeter notre regard en arrière et voir à quel point le Seigneur est fidèle à sa Parole, regarder aussi autour de nous et constater que son salut est parvenu jusqu’aux extrémités de la terre, du Moyen-Orient jusqu’en Europe, de l’Europe jusqu’en Amérique et en Afrique, de là jusqu’en Papouasie-Nouvelle-Guinée, en Sibérie et jusqu’aux confins de la terre.
Non, notre foi n’est pas un saut dans le vide. Elle a un fondement solide : Dieu veut sauver tous les hommes. C’est pour cela qu’il a choisi un jour Abraham pour faire de lui un peuple et qu’il a fait sortir de ce peuple le Messie ; c’est pour cela que sa Parole est lue et que son Evangile est proclamé dans des milliers de langues et de dialectes.
Si à l’époque nous avions dit à Abraham : « Tu crois vraiment que c’est raisonnable de tout laisser derrière toi, de prendre tes valises et te mettre en route simplement parce que Dieu te l’a demandé ? », il nous aurait sans doute répondu : « Vous avez raison. Ce n’est pas très prudent, mais je risquerais beaucoup plus encore à ne pas prendre Dieu au mot, à tourner le dos à sa Parole et ses promesses. » C’est vrai : humainement parlant, la foi est toujours un risque.
Mais nous risquons beaucoup plus à faire la sourde oreille quand Dieu nous parle, à ne pas lui faire confiance, à ne pas bâtir sur ses promesses. Dieu nous parle ; Dieu nous séduit en nous promettant des choses merveilleuses ; et Dieu tient parole : il reste fidèle à ce qu’il a promis. Alors, frères et sœurs, prenons avec assurance la main de ce Dieu. Il saura nous rattraper et nous conduire là où nous verrons un jour de nos propres yeux combien il vaut la peine de compter sur lui, de marcher avec lui et de s’accrocher à ses promesses !
Frères et sœurs, en route ! Levons-nous avec Abraham, marchons avec lui sur le chemin de la foi et implorons le Seigneur : Prends ma main dans la tienne Et qu’en tout lieu, Ta droite me soutienne, Seigneur, mon Dieu. Comment donc sans ton aide Me diriger, Si je ne te possède Dans le danger. Amen.

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