dimanche 9 juin 2013

LUC 7.11-17


11Ensuite il se rendit dans une ville appelée Naïn ; ses disciples et une grande foule faisaient route avec lui. 12Lorsqu'il approcha de la porte de la ville, on portait en terre un mort, fils unique de sa mère, qui était veuve ; et il y avait avec elle une importante foule de la ville. 13Le Seigneur la vit ; il fut ému par elle et lui dit : Ne pleure pas ! 14Il s'approcha et toucha le cercueil. Ceux qui le portaient s'arrêtèrent. Il dit : Jeune homme, je te l'ordonne, réveille-toi ! 15Et le mort s'assit et se mit à parler. Il le rendit à sa mère. 16Tous furent saisis de crainte ; ils glorifiaient Dieu et disaient : Un grand prophète s'est levé parmi nous, et : Dieu est intervenu en faveur de son peuple. 17Cette parole se répandit à son sujet dans la Judée tout entière et dans tous les environs.




Une femme marche. Une veuve sur un chemin poussiéreux. Le soleil frappe les rues de Naïn. La ville se trouve au bord d'une large et belle vallée, mais la veuve n'a pas le coeur à penser à la beauté. Aujourd'hui, sa vie s'est arrêtée. Elle perdu son dernier lien avec la société, elle est sur le point de devenir une exclue.
La femme marche derrière le corps de son fils unique, enveloppé d'un lincueil et porté sur une simple planche de bois. Il est mort ce jour même et doit être enterré avant le couche du soleil. Le choc est insupportable, trop lourd à porter. Peut-être la femme se souvient elle avoir pris le même chemin pour enterrer son mari. Elle l'a perdu, elle a perdu son fils et elle peut craindre d'être elle aussi perdue.
Dans une société où la famille était en fait le seul « filet de sécurité » en terme social, se retrouver veuve et sans enfant voulait tout simplement dire être privée de tout soutien. Un femme ne pouvait être représentée légalement que par un homme. Elles ne pouvaient être défendues socialement que par des hommes. Pour défendre ses intérêts, une femme devait compter sur les hommes de sa famille. Bien sûr, le peuple connaissait la Loi que Dieu avait donnée à Moïse, et qui affirmait clairement que les veuves, en tant que personnes particulièrement fragiles devaient être protégées et recevoir une protection particulière. Mais il était tellement tentant pour certains d'abuser de cette faiblesse. Une veuve sans enfant restait une femme seule dans un monde d'hommes : une proie facile, tout simplement... Sombre perspective. Ils sont sans doute nombreux ceux qui, tout en l'accompagnant, sont tristes de la mort du jeune homme, mais aussi inquiets pour la mère : que va t'elle devenir ? En plus de l'épreuve terrible qui consiste à devoir enterrer son enfant, la veuve de Naïn est seule, abandonnée, en fait, on pourrait même dire que socialement, elle n'existe plus.


Le cortège funéraire avance et s'apprête à quitter la ville. C'est alors qu'un autre groupe, qui veut y entrer. Ce sont les gens qui accompagnent ce Jésus dont on parle tant, ce Jésus qui (c'était notre évangile de la semaine dernière) vient de guérir le serviteur d'un centurion.Et cette rencontre entre les deux groupes symbolise en fait ce qui est au coeur de notre texte : la collision entre la mort et la grâce de Dieu.
Je me demande si les disciples de Jésus s'attendaient à cette rencontre avec la procession funèbre. Ce n'est jamais quelque chose de plaisant, surtout quand c'est inattendu. Surtout, je crois qu'aujourd'hui encore (aujourd'hui encore plus en fait!!) nous avons du mal à nous confronter à la mort. Voilà pourquoi ceux qui nous promettent l'éternelle jeunesse à coup de médecine douce, de botox ou d'autres choses ont tant de succès.
Mais Jésus, lui, n'a pas peur de se confronter à la mort. Luc nous dit :
Le Seigneur la vit ; il fut ému par elle et lui dit : Ne pleure pas !
Une question à toujours nous poser quand nous lisons les Evangiles est la suivante : comment est-ce que Dieu se montre à nous à travers Jésus-Christ ? Ici, nous voyons un Dieu qui nous voit, y compris dans les pires circonstances imaginables. Nous voyons aussi un Dieu « ému ». En fait, le grec veut dire « pris aux tripes ». Mes frères et soeurs, Dieu est sensible à nos souffrances, à nos doutes, à nos questionnements, à nos peurs, et il veut nous en retirer. La plupart des grandes religions se sont construites sur l'idée d'un Dieu impassible, grandiose, lointain! Notre Dieu n’est pas le «dieu grec de l'Olympe» qui regarde de très loin la terre. Israël, déjà dans l'Ancien Testament, avait reçu la révélation d'un Dieu proche, paternel, familier ! Enfin, nous voyons un Dieu qui nous parle.
Jésus dit à la femme « ne pleure pas ». Nous rendons-nous compte de l'inconvenance choquante de cette parole ? Vous imagineriez-vous dire à un ami qui vient de perdre un être cher « ne pleure pas ? ». Mais Jésus peut dire « ne pleure pas » à cette femme qui vient de tout perdre parce qu'il est vraiment Dieu, et Dieu agissant. Et Jésus agit : Il s'approcha et toucha le cercueil. Ceux qui le portaient s'arrêtèrent. Il dit : Jeune homme, je te l'ordonne, réveille-toi ! 15Et le mort s'assit et se mit à parler.
Là encore, nous pouvons facilement passer à côté de tout ce que Jésus accomplit par ces actes. Ce dont il faut se souvenir, c'est que le contact avec un mort était sensé rendre impur. Jésus n'a cure de tout cela. Il n'hésite pas à transgresser la loi pour entrer dans une logique de vie. Jésus n'a jamais craint de toucher l'intouchable. Encore aujourd'hui, il n'y a aucune partie de nos vies, même celle qui nous paraissent les plus sales et inommables, où il ne veut pas apporter la purification et la guérison.
On dit qu'il y a dans cette histoire une résurrection. Moi, j'en vois deux. La résurrection du fils de la veuve est une image du pouvoir de Jésus sur la mort, qui préfigure sa résurrection glorieuse au matin de Pâques. Mais avant cela, on peut dire aussi que Jésus rend la vie à la veuve. Il la libère de sa déchéance, de la pauvreté à laquelle elle était condamnée. Ce sont là des choses toutes pratiques et matérielles, mais Jésus est Seigneur de cela aussi, il veut agir dans ces domaines là aussi ; et nous aurions tort de ne voir en lui que celui qui nous garantit « une place au Paradis ». L'oeuvre de Christ est infiniment plus grande que cela, mes amis, et elle a des répercussions dès maintenant, dans notre vie de tous les jours. Ne limitons pas Jésus. Laissons le Seigneur de la vie être le seigneur de toute notre vie, dans ces moindres détails.

L’enfant ressuscite. Et là, c’est l’explosion de joie. De tous. Pas seulement l’enfant qui n’avait probablement pas vu grand chose, pas seulement la maman qui voyait d’un coup son fils bien-aimé revenir à la vie, et qui retrouvait par la même occasion son espoir pour le lendemain, mais c’est tous qui manifestent une joie extraordinaire. Un seul est sauvé, mais tous se sentent sauvés, revivre, réintégrés dans la vie. C’est tout le cortège, les deux cortèges qui sont relevés par la vie. On avait cru être à la frontière de la mort, tous se sont retrouvés à la frontière de la vie, comme balancés de l’autre côté de la frontière.

Tous ces gens connaissent l'Ancien Testament bien sûr, et ce que Jésus vient d'accomplir leur rappelle qu'Elie avait fait la même chose pour une autre veuve des siècles plus tôt. Elie, un des plus grands messagers de Dieu dans l'ancienne alliance. Alors naturellement les gens disent : « Un grand prophète s'est levé parmi nous, et : Dieu est intervenu en faveur de son peuple. ». En fait, Luc nous pose ici la question de l'identité de Jésus. Oui, il était prophète, mais beaucoup plus que prophète. Il était le Fils de Dieu lui-même. Oui, Jésus a ressuscité le fils de la veuve ; mais il a fait plus : il a accepté de passer par la mort pour que nous puissions avoir la vie.
Je vous ai parlé des deux cortèges qui se rencontrent dans l'évangile de ce jour. La question est alors de savoir si nous faisons partie du cortège enthousiaste et désordonné qui suit Jésus, ou si nous faisons partie du triste cortège sans espoir qui marche vers des frontières funestes. La question pourrait être posée à titre individuel, mais je crois que c’est respecter le texte que de se la poser plutôt de façon communautaire : notre Eglise, ou même l’Eglise chrétienne, est-elle en train de suivre de façon imparfaite, mais joyeuse, le Christ, ou est-elle en train de se morfondre, de se plaindre de ce qu’elle a perdu, de ce qu’elle ne retrouvera plus, de ce que les choses ne sont plus comme avant, de ce que l’avenir est sombre et sans espoir. Sommes-nous dans le cortège de la vie ou dans celui de la mort ? Je n’ai pas la réponse. Mais si nous sommes dans le cortège de vie, enthousiaste et un peu bruyant, à la suite du Christ, il nous faudra alors franchir quelques frontières. Il nous faudra oser confronter la mort et ne pas avoir peur d'être contaminé par « l'impureté ». Il faudra refuser de détourner le regard. Pourquoi ? parce que la vie de la communauté toute entière, la joie de l’Eglise en dépend.
Et si nous sommes dans le cortège funèbre : celui où l’espoir est difficile à voir. Où les perspectives d’avenir ne sont plus perceptibles, où les projets n’existent plus, où le moribond l’emporte sur le vivifiant, alors, Luc nous laisse cet espoir : il y a quelque part, un cortège de vie, qui vient à notre rencontre. Il est conduit par le Christ et à sa suite marchent des gens qui n’hésiteront pas, eux à franchir les limites, pour nous redonner vie. Amen











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