lundi 3 mars 2008

Jean 9, méditation du troisème dimanche de Carëme

Mes chers amis,

Nous arrivons à la moitié de notre chemin de carême. C’est, traditionnellement, une saison de l’année liturgique où les chrétiens sont invités à réfléchir sur le péché, sur sa gravité, sur sa réalité dans nos vies et dans le monde et, ultimement, à se souvenir jusqu’où Jésus a dû aller pour effacer notre péché : sur la croix. Réfléchir, dis-je, parce qu’il vaut mieux que nous restions prudents quand nous abordons cette question.


Prenez par exemple les disciples de Jésus lorsqu’ils croisent cet aveugle : qui a péché, cet homme ou ses parents pour qu’il soit né aveugle ? En posant cette question, les disciples montrent qu’ils partagent l’opinion courante à l’époque selon laquelle une épreuve (ou une maladie, ou la pauvreté) était forcément le résultat d’un péché de la personne concernée. En l’occurrence, cette attitude existe encore aujourd’hui. Laissez-moi vous donner un exemple : après les attaques du 11.09.01, certains leaders évangéliques ont affirmé que les attaques terroristes étaient une punition envoyée par Dieu sur l’Amérique pour la punir de ses péchés. De façon très commode, les péchés ainsi punis étaient ceux que ces hommes n’avaient pas arrêté de dénoncer depuis des années (homosexualité, liberté sexuelle).Le problème principal de cette méthode est que, dans la Bible, ceux qui s’y essaient échouent à chaque fois. Mais c’est tellement mieux de pouvoir pointer du doigt, de dire « il l’a quand même un peu cherché. Si ça lui arrive, c’est quand même qu’il a dû faire quelque chose de mal (et tant mieux que ce ne soit pas moi) ».
Je crois que cette attitude reflète deux problèmes fondamentaux et très graves. D’une part, une incapacité de la part des personnes qui se livrent à ce petit jeu malsain à considérer la réalité et la gravité de leurs propres péchés. D’autre part, une attitude, qu’on peut presque qualifier de blasphématoire, qui consiste à se comporter comme si l’on se trouvait dans le secret du plan de Dieu, comme si ses pensées étaient nos pensées et ses voies nos voies. C’est une façon de réduire Dieu à notre taille, de dire « si j’étais Dieu, j’agirai comme ça, et je punirai ces gens qui le méritent bien ».


Jésus, lui, balaie complètement la question de ses disciples. Il fournit une des armes les plus puissantes de la Bible contre l’idée que les malheurs correspondent forcément à des péchés précis. La cécité de cet homme peut trouver sa cause première dans le fait que toute la création est soumise à la corruption du péché, et que cela implique les maladies, mais elle n’est pas le résultat d’un péché spécifique. Il invite ses disciples à se détourner de ces questions oiseuses et à se recentrer sur la mission que le Père a confiée à Jésus. Il guérit l’homme. ET en le guérissant, il fait un peu comme ces joueurs de rugby qui, d’un coup de pied, envoient le ballon loin, très loin dans le camp de l’équipe adverse pour qu’elle courre après et se désorganise. Ici, Jésus envoie la balle dans le camp de l’équipe de la religion, qui joue sous le maillot pharisien.

C’est là que commence une procédure d’interrogatoires menés par les Pharisiens. On peut dire que la scène est parfois un peu comique, avec de l’ironie, des allées et venues, bref, on serait tenté de ne voir là qu’une version antique du théâtre de boulevard. Et pourtant, il s’agit de choses sérieuses. Parce que, ce que les Pharisiens veulent faire, c’est trouver contre Jésus un nouvel angle d’attaque. Cela est révélateur de l’état d’esprit pharisien, et plus largement d’une certaine mentalité religieuse :
-au lieu de se réjouir qu’un homme ait retrouvé la vue, les Pharisiens commencent une véritable enquête. Cela montre leur manque de cœur et de compassion.
-au lieu de rendre gloire à Dieu, ils vont tout faire pour nier que Jésus est bien l’envoyé du Seigneur. Il ne peut pas, il ne doit pas l’être, parce qu’il va à l’encontre des règles des Pharisiens. C’est un pécheur ! Il a rompu le Sabbat ! Voilà qui est typique de la religiosité : enfermer Dieu dans une boîte, le domestiquer, lui interdire, de façon pratique, d’agir selon son plan souverain.
Les Pharisiens font tout pour retomber sur leurs pieds. Certains d’entre eux reconnaissent même qu’il est difficile, devant un tel miracle, de nier que Jésus vienne de Dieu (v.16). Alors, on va chercher à démonter l’histoire. Est-on sûr que l’homme soit bien né aveugle ? Ses parents, bien qu’effrayés, ne peuvent nier la vérité : oui, leur fils est né aveugle (v.18-23). Raté. Alors, on revient au début : Jésus est un pécheur, donc il ne peut pas avoir accompli un tel miracle. Et c’est l’ex-aveugle lui-même qui doit pointer du doigt à quel point les Pharisiens s’enfoncent « Jamais on a entendu dire que quelqu’un ait ouvert les yeux d’un aveugle-né. Si cet homme ne venait pas de Dieu, il ne pourrait rien faire » (v.32-34). C’est le dernier clou sur le cercueil de la pitoyable tentative des Pharisiens de nier l’évidence qui se présent clairement à eux.
Alors, frustrés, aigris, ils chassent l’homme, l’homme qui après tout n’est qu’un « pécheur », comme Jésus, parce que, bien sûr, les Pharisiens, eux, ne le sont pas.


A présent, mettons-nous pour l’instant à la place de cet homme. Sa vie vient de changer de façon dramatique lorsque Jésus lui a permis de voir. Et la première chose qui lui arrive dans cette nouvelle vie, c’est d’être chassé de la synagogue, excommunié, condamné à une mort sociale peut-être encore pire que la cécité, alors même qu’il n’est pas un disciple de ce Jésus qu’il n’ a jamais vu. Il n’a fait que dire la vérité sur ce qui s’est passé. Nous-même, en tant que témoins du Christ, nous pouvons parfois nous attendre à nous retrouver en porte-à-faux parce que nous allons contre certaines traditions, certains conformismes religieux.

C’est à ce moment-là que Jésus vient « terminer » le travail dans l’existence de cet homme. En fait, la partie la plus important du travail reste à faire. Quand il croise l’ancien aveugle, Jésus ne prend pas de nouvelles de sa santé. Il ne lui demande pas comment il se sent après s’être fait expulser de la synagogue. Sa question est « crois-tu au Fils de Dieu ? » (v.35). Voyez-vous, même si l’homme a reconnu en Jésus un prophète venu de Dieu, cette découverte doit s’enraciner dans la réalité complète de qui Jésus est véritablement. Il est le Fils de l’Homme, la Lumière du Monde. L’homme en doit pas simplement savoir que le Fils de Dieu existe : il doit mettre sa foi en lui. Et si l’homme se prosterne pour adorer Jésus, c’est parce qu’il a compris qu’il a en face de lui beaucoup plus qu’un prophète : son Sauveur. Jésus n’a pas seulement donné à l’homme la vue physique, il lui a aussi donné la vue spirituelle. Ironiquement, l’ex-aveugle « voit »mieux la réalité que les Pharisiens qui se croient capables de percer les réalités de l’âme.

C’est ainsi que Jésus se révèle dans ce texte : comme celui qui est envoyé par Dieu pour donner la lumière, pour vaincre notre cécité, nous faire prendre conscience de notre état naturel et pour nous faire saisir l’immensité de l’amour de Dieu pour nous.
C’est lui, et lui seul, qui peut nous ramener à ce qui est central : travailler au plan de Dieu et faire sa volonté. Alors, nous pourrons recevoir ces choses nouvelles que le Seigneur accomplit en nous et pour nous.

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