mardi 22 juin 2010

LUC 9.18-24



18 Un jour, Jésus priait à l'écart et ses disciples étaient avec lui. Il leur posa cette question: «Qui suis-je, d'après les foules?»
19 Ils répondirent: «D'après les uns, Jean-Baptiste; d'après certains, Elie; d'après d'autres, un des prophètes d'autrefois qui est ressuscité.»
20 «Et d'après vous, qui suis-je?» leur demanda-t-il. Pierre répondit: «Le Messie de Dieu.»
21 Jésus leur recommanda sévèrement de ne le dire à personne.
22 Il ajouta qu'il fallait que le Fils de l'homme souffre beaucoup, qu'il soit rejeté par les anciens, par les chefs des prêtres et par les spécialistes de la loi, qu'il soit mis à mort et qu'il ressuscite le troisième jour.
23 Puis il dit à tous: «Si quelqu'un veut être mon disciple, qu'il renonce à lui-même, qu'il se charge [chaque jour] de sa croix et qu'il me suive,
24 car celui qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui qui la perdra à cause de moi la sauvera.




« Il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup et qu’il soit mis à mort ».
Jésus s’adresse aux disciples.
Pour la première fois, il leur annonce explicitement sa mort prochaine.
Surtout, il présente la croix et la souffrance qui l’accompagne comme une nécessité : « Il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup ».
En qualifiant ainsi sa mort, Jésus semble bien loin de la bonne nouvelle que nous attendons.
Pire encore, c’est comme s’il venait confirmer nos pires soupçons.
Le christianisme, au fond, serait une religion morbide, où un Dieu pervers exigerait la souffrance d’un innocent pour pardonner aux hommes.
Nous connaissons l’indignation d’un Nietzsche devant un pareil message, Nietzsche qui écrit : « Dieu a offert son fils en sacrifice pour la rémission des péchés. D’un seul coup, c’en était fini de l’Evangile… Le sacrifice, et sous sa forme la plus répugnante, la plus barbare : le sacrifice de l’innocent pour les péchés des coupables. Quel effroyable paganisme ! ».

Bien sûr, nous ne partageons pas forcément la colère de Nietzsche.
Mais, soyons honnêtes, nous sommes souvent « gênés aux entournures » par cette mort et surtout par la signification qu’on lui donne habituellement.
Si Dieu est vraiment amour, alors avait-il besoin de sang et, pire encore, du sang de son propre fils ?
Et si ce n’était pas pour apaiser la colère de Dieu, pourquoi la croix était-elle nécessaire ? Pour quoi, ou plutôt : pour qui ?
Enfin, si Dieu est vraiment amour, alors a-t-il besoin de notre souffrance pour être réconcilié avec nous ?
Parce que nous ne trouvons pas de réponses vraiment satisfaisantes, nous ne savons plus trop quoi faire de la croix, alors qu’elle est, sans jeu de mots, le point crucial de l’Evangile.
Seulement, n’y aurait-il pas maldonne ?


« Quelle bonne nouvelle pour aujourd’hui ? », nous demandons-nous.
« Il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup et soit mis à mort », répond Jésus.
Et nous allons voir que, paradoxalement, il s’agit bien d’une bonne nouvelle.

Dans sa lettre aux Romains, Paul nous met sur la piste.
Il nous dit que Jésus doit mourir sur la croix, moins pour changer quelque chose en Dieu que pour changer quelque chose en nous.
Plus précisément, Jésus doit mourir sur la croix pour nous aider à changer de logique, à passer de la logique du sacrifice à la logique de la grâce.

Voici à quoi ressemble la logique du sacrifice :
Je suis soumis à cette logique lorsque je crois que l’essentiel se mérite et que tout a un coût, même l’amour de Dieu.
A l’origine, pourtant, le sacrifice n’était pas un marchandage, mais une recherche de communion.
En offrant le sacrifice d’une bête ou d’une partie de la récolte, le croyant invitait symboliquement Dieu à partager un repas avec lui.
Mais, peu à peu, le sacrifice a pris un tout autre sens.
« Je veux obtenir quelque chose de mon dieu : le pardon de mes fautes, le salut, la santé ou la prospérité. Pour l’obtenir, je paie, je paie en offrant un sacrifice : le sacrifice de mes richesses, mais aussi le sacrifice de mes envies, de mes désirs.
En échange, le dieu me donnera ce que je désire… du moins en principe ».

Cette logique sacrificielle a imprégné la foi chrétienne… y compris dans sa compréhension de la croix.
Pourtant, tout au long de sa vie, Jésus a essayé de montrer un autre chemin.
Il a proposé une vie plus ouverte, plus respectueuse des autres et de soi-même, une vie réconciliée avec Dieu.
Jésus a même proposé de remplacer le sacrifice par l’amour de Dieu et du prochain. Mais les hommes ont persisté dans leur logique ; ils l’ont même appliquée à Jésus. Parce qu’il dérangeait trop, il valait mieux qu’il meure.
Comme le dit Caïphe : « Votre avantage, c’est qu’un homme meure pour tout le peuple et que la nation ne périsse pas tout entière » (Jean 11/50).
Quant à sa mort, les chrétiens y ont souvent vu le règlement d’une dette envers Dieu.

Ne croyez surtout pas que c’est de l’histoire ancienne.
Aujourd’hui encore, beaucoup de croyants pensent qu’il est nécessaire de se sacrifier, de donner à Dieu son bonheur ou sa joie de vivre, non par amour mais pour lui arracher un verdict favorable.
« Tu souffres, Dieu te le rendra ».

Ne croyez pas non plus que notre société, prétendument moderne et laïque, ne soit pas concernée. Elle a éliminé les dieux, mais n’a pas changé de logique.
Il faut toujours offrir des sacrifices.

Ce peut-être le sacrifice de son temps.
Aujourd’hui, toute personne active doit courir sans cesse, passer du travail au club de gym, sans oublier d’aller chercher les enfants pour les conduire au judo.
Quant à ces derniers, ils doivent meubler tous leurs temps libres: « Vacances remplies, vacances réussies », martèle l’Education Nationale.
Même les retraités exhibent fièrement un agenda surchargé.
Le sacrifice est aussi de mise dans la vie professionnelle.
Les entreprises sont même des divinités exigeantes.
Elles demandent à l’employé de lui sacrifier, non seulement son temps, mais aussi son énergie et ses capacités. Tout doit lui être offert. Et si ce sacrifice n’est pas suffisant, alors c’est l’entreprise, elle-même, qui vous sacrifie.

Enfin, comme le 20° siècle l’a malheureusement démontré, le sacrifice peut être collectif. Dès que la situation d’un pays devient trop mauvaise, alors, nous le savons bien, ce sont les peuples voisins, les pauvres, les étrangers ou les marginaux ou les minoritaires qui sont sacrifiés.
Sacrifier ou se sacrifier : pour la paix sociale, pour la prospérité économique, pour se sentir aimé, pour être sauvé.
Par la croix, le Christ montre, en pleine lumière, les conséquences de la logique sacrificielle. Il nous oblige à constater qu’elle conduit à la mort et qu’il faut donc y renoncer.
Surtout, par sa vie et par sa mort, le Christ nous fait découvrir que cette logique ne sert à rien.
Depuis ce jour, en effet, depuis la croix, Dieu sait que nous sommes capables du pire. Il sait que, si le Christ venait aujourd’hui, il serait réduit au silence de la même façon.

Pourtant, il confirme son alliance et l’étend même à toute l’humanité.
Pourtant, il pardonne aux hommes.
Pourtant, il redouble dans son amour.
Pourtant, il ressuscite Jésus et nous ouvre les portes de la résurrection.
Tout cela, par grâce.
Vous le voyez, la croix barre un chemin pour en ouvrir un autre, un chemin de vie, un chemin de grâce.


Oui, il fallait que le « Fils de l’homme souffre beaucoup et soit mis à mort ».
Il le fallait, non pour Dieu, mais pour toi ; non pour changer les sentiments de Dieu à ton égard mais pour que tu changes de sentiments à l’égard de Dieu ; non pour t’enfermer dans une logique du sacrifice et de la dette, mais pour que justement tu en sois libéré.

Parce que le Christ est mort, tu peux changer de logique et vivre maintenant sous celle de la grâce.
Tu n’as plus besoin de te sacrifier dans l’espoir d’être aimé.
Tu n’as plus besoin de souffrir afin d’être pardonné.
Tu n’as plus besoin de te nier pour aimer les autres.
Tu n’as plus besoin de te perdre dans le travail pour te croire performant.

Tu es libre.
Libre de rendre un culte à ton Dieu parce que tu l’aimes.
Libre de servir ton prochain sans régler par là une dette.
Libre d’aimer tes enfants sans les rendre débiteurs.
Libre de travailler sans y perdre ta vie.
Libre de te donner gratuitement.

Oui, la croix contient une bonne nouvelle paradoxale : le Christ s’offre en sacrifice pour que tu n’aies plus besoin, ni de te sacrifier ni de sacrifier les autres.
« Il faut que le Fils de l’homme souffre », dit Jésus.
« C’est pour que vous soyez vraiment libres que le Christ vous a libérés », répond Paul, comme en écho.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

"Plus précisément, Jésus doit mourir sur la croix pour nous aider à changer de logique, à passer de la logique du sacrifice à la logique de la grâce."

Il faut faire attention: l'oeuvre du Christ est vraiment, OBJECTIVEMENT, réalisation de l'Alliance entre Dieu et les hommes. Le Christ a aimé Dieu, malgré sa mort(Job.13/5), de même qu'Adam a haï Dieu, malgré sa mort. Voilà le grand parallèle qui nous ouvre la "métanoia" que vous nous proposez, comme résultat( et non objet) de l'oeuvre du Christ.

Car, notre foi repose sur du concret: J-C, pas sur du sentiment!