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Je suis meurtri !J’étais
 à Paris au moment de l’attaque de la rédaction de Charlie-Hebdo. Comme 
tout le monde, j’ai été choqué puis bouleversé par tout ce qui s'y est 
passé. Indigné, je me suis laissé entraîner par l’onde et les ondes 
jusqu’à oublier de réfléchir à tout ce qui se disait, noyé par le flot 
des paroles vides et des sentences à l’emporte-pièce. Journaliste, et 
d’instinct, je ne pouvais qu’être solidaire.
 
 Dans un premier 
temps, j’ai pensé pouvoir être Charlie, mais il faut se méfier des 
émotions qui aveuglent et plus encore des faiseurs de troupeaux.
 
 Est
 arrivé, le lendemain, la première prise d’otages,  puis la seconde qui 
visait des anonymes juifs. Peur et stupeur qu’entretiennent les images 
fixes et les commentaires incessants pour dire qu’on ne sait rien ou 
qu’on ne peut rien dire.
 
 Nouvelle hécatombe,  et de Charlie je me demande si je ne deviens pas Juif.
 
 17 morts !  Horreur à nos portes !
 
 L’émotion
 devient action lorsque tout le monde décide de descendre dans la rue 
pour dire oui à la démocratie, non à la barbarie ! Oui à la liberté des 
crayons, non à la sauvagerie des armes ! Mais il faut aussi dire oui à 
la réflexion et non seulement aux sensations. Parce que la liberté 
d’expression n’est juste que si on nous a laissé la liberté de penser 
autre chose que la pensée unique.
 
 Ma révolte contre le terrorisme
 des intégristes ne doit pas me faire oublier que j’ai aussi le droit de
 penser que les caricatures de Charlie-Hebdo, dont on veut m’imposer la 
légitimité aujourd’hui, sont parfois des agressions. Dois-je accepter 
qu’au nom de la liberté, on raille et bafoue l'objet de la foi de 
quiconque. De nombreux dessins de Charlie-Hebdo ont été des offenses et 
des manques de respect à l'égard, notamment, du Christianisme et des 
chrétiens. N’en étions-nous pas indignés hier ?
 
 J’aime tant la 
démocratie que je suis de l’avis de Voltaire : « Je ne suis pas d’accord
 avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous ayez le droit 
de le dire. » Jolie formule, mais qui semble être un apocryphe du 
penseur et défenseur des innocents dans l’Affaire Calas. Il n’empêche 
que l’idée est belle, mais, comme la liberté de chacun, elle s’arrête 
lorsque commence celle de l’autre.
 
 Ces pensées ne m’ont pas 
empêché de me rendre, le premier soir, Place de la République, ému comme
 tout le monde, face à la mort brutale et barbare de douze personnes. 
Or, bien des messages circulaient sur cette place symbolique où l’unité 
nationale et républicaine avait autant de désaccords que les 
Marseillaises timides, parfois étouffées. J’ai, en effet,  vu des 
pancartes et lu des slogans contre toutes les religions, lesquelles 
étaient présentées comme des « archaïsmes dont il faut se libérer autant
 que des c...  qui les propagent ! »  Des dessins de Charlie-Hebdo, 
outranciers à l'encontre des chrétiens (mais aussi des juifs et des 
musulmans) étaient placardés à côté des crayons et des bougies.
 
 Je
 me suis alors souvenu de ce que la presse satirique diffusait, par 
exemple, au moment du mariage pour tous. Ceux qui, comme moi, 
s’offusquaient étaient malmenés, maltraités, et de façon souvent 
outrancières, grossières… Sans parler des amalgames faciles qui 
faisaient de nous des ennemis de la France républicaine et laïque.
 
 Je suis donc mal à l'aise avec tous ces gens qui se réclament de la 
liberté d'expression à la Charlie, celle qui donne le droit au 
blasphème. Même notre ministre de la justice, qui avait porté plainte,  
soutenue par le gouvernement, semble avoir oublié une fameuse banane ! 
Je reste étonné encore que les médias qui, à l’unisson, revendiquent la 
liberté d’opinion et de diffusion, refusent – pour certains – de 
poursuivre leur collaboration avec Éric Sémour, ridiculise Valérie 
Trierweiller ou boycotte Michel Houellebecq.
 
 La prise d’otages de
 la porte de Vincennes, tout aussi insoutenable que ce qui s’était passé
 la veille, a déplacé la fixation sur les dessinateurs connus pour 
glisser vers des anonymes et vers d’autres victimes. Le champ des 
martyres s’élargissait pour, hélas, démontrer que n’importe qui pouvait 
devenir une cible des fanatiques. Mais du coup, les dessins qui, la 
veille, visaient aussi les Juifs et les catholiques sont devenus plus 
discrets. Piètre satisfaction !
 
 Les français de toutes origines –
 et pas seulement eux - ont heureusement réagi en refusant très 
massivement la stratégie de la peur et de l’intolérance. Certains 
politiques sauront en tirer profits ; il ne faut pas se leurrer, ni 
tomber d’une manipulation à une autre.
 
 Quelle belle prise de 
conscience : près de quatre millions de citoyens dans les rues ! 
J’espère que depuis les manifestations contre le mariage gay, les 
autorités ont appris à compter.
 
 Le peuple est versatile : il a 
applaudi la police contre laquelle il était descendu dans les rues 
quelques semaines plus tôt après la mort malheureuse d’un écologiste. 
Les médias ayant parfois mis, comme souvent, de l’huile sur le feu.
 
 Le
 peuple s’est senti  soudain solidaire le temps d’un week-end, mais dans
 son quotidien, il accepte volontiers les messages qui dressent une 
partie de lui contre une autre partie. Et l’union sacrée mettra combien 
de temps à se dissoudre ?
 
 Quant aux responsables des grandes 
religions de France, il me semble qu'ils devraient dire, plus 
explicitement, qu’il est faux d’asséner que l’on peut rire de tout et 
ricaner, ridiculiser, mépriser les convictions des gens! La grossièreté 
des caricaturistes, l’insolence des femens et les parodies des  amuseurs
 publics ne sont pas des preuves de liberté d’expression mais 
l’expression insidieuse d’une dictature irrespectueuse des opinions. Les
 mêmes ne supportant souvent pas que l’on puisse ne pas accepter  leurs 
propos, leurs gestes ou leurs croquis.
 
 La liberté d'expression ne doit devenir la tyrannie ni des athées, ni des laïcards.
 
 Eric Denimal
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