mercredi 22 mai 2013

Apostasie, vous avez dit apostasie ?


Paul WELLS*
Revue Réformée 227
« Des choses horribles, abominables
Se passent dans le pays;
Les prophètes prophétisent le mensonge,
Les prêtres font du profit.
Et mon peuple aime cela !
Mais que ferez-vous quand viendra la fin ?
 »
(Jérémie 5:30-31, Bible de Jérusalem)

Il est une chose assez étonnante aujourd’hui: alors que l’Eglise, en Occident, est malade ou au moins souffrante d’asthénie, les chrétiens ne se préoccupent guère de savoir comment elle a pu en arriver là. Ils n’arrivent même pas à en faire la diagnose ou à nommer le mal.
Bien au contraire, il semble que tout se passe dans le meilleur des mondes ecclésiastiques possibles, avec un baromètre au beau fixe et un climat établi par l’air du temps. La chute, en bien des milieux, du nombre des pratiquants, des conversions, des vocations au ministère et des revenus… n’inquiète pas vraiment. Et même, une certaine suspicion existe à l’encontre des Eglises en développement: n’useraient-elles pas de manipulation où la « dureté » maintiendrait la ligne? Dans les Eglises francophonesmain-line, issues de la tradition de la Réforme, on « fait » dans le sociologique ou le social et, pour se donner bonne conscience, on disserte, parfois, « en intello » sur les questions de société.
Comment imaginer qu’une Eglise puisse devenir une anti-Eglise, alors que le mot, difficile certes, d’apostasie semble impossible à prononcer?1La modernité avancée relativise et subjectivise toute vérité. Le summum n’est peut-être pas de ce monde, mais, chacun à sa manière – la communauté chrétienne ou le chrétien lambda pluraliste ou « évangélique » – se réclame légitimement du Christ. Il serait incorrect de mettre en question la bonne foi du prochain! On est chrétiens tous ensemble. Ainsi, au début du mois de novembre dernier, Gene Robinson, premier évêque ouvertement déclaré gay de la communauté anglicane, a invité ses détracteurs, sur la chaîne CNN, à rendre visite à sa « famille », qui est très morale. Le langage même assume son sens contraire dans les milieux « chrétiens ».
La moindre remarque ou la plus petite objection constitue une violation du principe absolu de l’amour, le signe d’un sentiment de supériorité spirituelle et d’une mauvaise foi indignes d’un chrétien. « Ne jugez pas » est pris dans le sens « n’ayez pas la moindre idée négative à propos des autres », comme si le Nouveau Testament ne recommandait pas d’exercer le discernement théologique.
Pourtant, nos prédécesseurs, A. Monod, dans l’Eglise réformée de France, et C.H. Spurgeon, au moment de la « régression » (downgrade) de l’Union baptiste en Angleterre au XIXe siècle, ou J.G. Machen, le fondateur du Westminster Seminary, qui s’est opposé aux modernistes dans l’Eglise presbytérienne des Etats-Unis, nous ont avertis. Dans son livre Christianisme et libéralisme (1923), où il montre magistralement que le christianisme et le libéralisme sont deux religions différentes, Machen écrit:
« L’Eglise aujourd’hui a été infidèle à son Seigneur en admettant en son sein des compagnies de non-chrétiens, non seulement pour en être membres, mais aussi pour y être enseignants. Ils dominent les conseils et fixent l’enseignement de l’Eglise… Une séparation des partis est le grand besoin de l’époque. »
Cet ouvrage n’a rien perdu de son actualité près d’un siècle plus tard, car le libéralisme moderne reste étonnamment fidèle à lui-même, même si les dérapages éthiques d’aujourd’hui, qui touchent aussi les évangéliques, appartiennent à un autre monde que celui des « vieux » libéraux.
Combien, dans le protestantisme, oseraient s’exprimer en 2004 avec la même rigueur que Machen sur l’état de l’Eglise, la théologie ou les problèmes éthiques?
I. Une définition
« A parler simplement et rigoureusement, la véritable apostasie est celle par laquelle on renonce à la foi. »2L’apostasie est donc le fait de se situer en dehors de la foi chrétienne confessée jusque-là3. « La bonne conscience, certains l’ont abandonnée et ont ainsi fait naufrage en ce qui concerne la foi. » (1 Tm 1:19) Elle se situe au bout d’un chemin en pente descendante le long duquel une simple erreur se transforme en hérésie et se cristallise en désaffection généralisée vis-à-vis de la foi.
L’hérésie porte le plus souvent sur une doctrine particulière – le statut de l’Ecriture, la christologie ou la Trinité, par exemple -, alors que l’apostasie est un reniement global de la doctrine apostolique. La blessure spirituelle qu’est l’hérésie se transforme en gangrène. Selon J. Owen, dans son tract La nature et les causes de l’apostasie de l’Evangile (1676), l’apostasie suscite le plus souvent des habitudes ou des attitudes dues au péché ou à l’erreur4. Elle infecte non seulement la pensée, mais toute la vie, au point qu’on ne peut plus parler du salut qu’avec une extrême prudence.
Dans le dictionnaire des antonymes chrétiens, « apostasie » est l’opposé de « pureté ». L’Eglise, on le sait, a pour signe et pour vocation de manifester la sainteté: « Soyez saints, car moi, l’Eternel, je suis saint », telle est l’exhortation qui jalonne toute l’histoire de la rédemption. Pensons, par exemple, aux prophéties bouleversantes de Jérémie!
Les individualistes que nous sommes, s’ils conçoivent assez aisément la sanctification au plan personnel, l’imaginent bien moins à propos de la collectivité. D. Bonhoeffer en a, cependant, donné une belle illustration dans son livre De la vie communautaire, et il a eu le courage de mettre son modèle en pratique.
Par analogie, on admet que « le monde » et « la chair » sont les ennemis de l’Eglise ou du chrétien; l’hérésie est ce qui se produit lorsque ces ennemis entrent et s’installent dans le camp, et l’apostasie ce qui arrive lorsqu’un rebelle aide l’ennemi. Pour Augustin, les premiers « apostats » sont Adam et Eve et la race humaine est devenue apostate par nature, à cause de leur faute5. Dans l’Apocalypse, l’expression « synagogue de Satan » (Ap 2:9 et 3:9) est utilisée pour décrire une communion dont les pratiques et les doctrines sont contraires à la vérité.
II. Des individus et pas des Eglises?
Il est aisé de parler d’apostasie à propos d’un individu; chacun connaît, en effet, l’histoire d’Esaü, celle de Judas, ou les noms d’Hyménée et Alexandre (1 Tm 1:20)6. Il en va tout autrement s’il s’agit d’une Eglise. Peu de textes ont été écrits à ce sujet7. Pourquoi? Les Eglises en seraient-elles à l’abri? Ou bien, pour diverses raisons – pudeur, souci de tolérance, crainte du sensationnalisme, etc. -, préférerait-on se taire? Le formalisme est un piège pour toutes les religions, ainsi que la tendance à défendre l’institution, qui sécurise de plusieurs manières.
Dans l’Ecriture, l’apostasie du peuple de Dieu est un thème permanent: de l’incident du veau d’or jusqu’à la parole de Jésus « ainsi avez-vous fait des prophètes… » et à la description, faite par Paul en Romains 9-11, de la situation du peuple juif. L’histoire de l’alliance est celle des désertions et des trahisons, non pas d’individus isolés, mais du peuple entier. Christ n’a-t-il pas eu à souffrir de l’abandon des siens dans l’isolement progressif qui a été le sien entre Gethsémané et Golgotha?
Après la Pentecôte, l’Eglise chrétienne s’est-elle améliorée grâce à l’effusion de l’Esprit? Apparemment non, car les croyants restent des pécheurs et sont toujours susceptibles d’orgueil et de ressentiments humains. Des sept Eglises de l’Apocalypse, deux seulement ont un bilan de santé positif8. Notre lumière serait-elle plus brillante au XXIe siècle que celle des chandeliers du Ier siècle? Ne serait-ce pas, pour avoir négligé les avertissements de l’Ecriture quant au risque d’apostasie, que le christianisme est si affadi en Occident?
III. Les étapes de l’apostasie
Irénée dit, quelque part, que l’erreur se pare toujours d’habits magnifiques pour avoir l’air plus vraie que la vérité. Comme le péché, elle a une apparence agréable et semble désirable. La relativisation de la gravité de l’erreur est la première étape vers l’apostasie.
Un arbre d’Inde, le taxus, produit du fruit la première année de sa maturité, des feuilles la deuxième et du poison la troisième. De même, le péché, après avoir pris racine chez un individu ou dans un groupe, n’a que trop tendance à s’aggraver. Des « bilans globalement positifs », l’autojustification personnelle ou institutionnelle, s’accordent peu avec la vision biblique de la communion chrétienne.
Le Nouveau Testament donne quelques indices du comment de la progression de l’apostasie au sein du peuple de Dieu. J. Owen considère cet enseignement comme prophétique, les développements de l’histoire de l’Eglise le confirmant. Voici, selon lui, les étapes de l’apostasie:
  1. des faux prophètes s’élèveront (Mt 24:9; 2 P 2:1);
  2. des loups pénètrent dans l’Eglise pour dévorer le troupeau (Ac 20:28);
  3. les chrétiens deviendront froids et ne supporteront plus la saine doctrine (2 Tm 3:1-9; 1 Tm 4:1-3).
A noter l’ordre suivi dans l’éclosion des « fleurs du mal » de l’apostasie: les erreurs, les faux prophètes, les « loups » et une froideur spirituelle généralisée.

IV. L’analogie personnes/Eglises

Tout comme il est possible de distinguer un chrétien fidèle d’un chrétien dont la foi dévie et d’une personne qui renie sa foi, serait-il possible de discerner les différentes sortes d’Eglises?
Les lettres aux sept Eglises de l’Apocalypse (chapitres 2 et 3) sont d’une grande aide. On y voit décrits trois types de communautés, que l’on pourrait classer respectivement en Eglises de résistance, de compromis et de dérapage:

1. Résistance
2. Compromis
3. Dérapage
Smyrne
Philadelphie
Pergame
Thyatire
Ephèse
Sardes
Laodicée

i) Fidèle:
refus des erreurs
Oui, mais tolérance
de la fausse doctrine
(juifs, nicolaïtes)
Tu es mort
(oubli de la Parole)



ii) Pauvreté:
acceptation de la
souffrance/
des sacrifices
Oui, mais adaptation
au monde (Balaam)
Des œuvres qui
renient la foi



iii) Victoire par le
témoignage
Des Oeuvres bonnes,
mais inconduite
(Jézabel)
Confiance en la
richesse, vitalité
apparente, mais morte



iv) Gardez la Parole…
Danger! (3:3, 16)
La tendance à l’apostasie va, dans le tableau, de la gauche vers la droite. Elle est d’abord partielle, porte sur un point apparemment de peu d’importance, un « oui, mais… » avant de se généraliser. Les Laodiciens et les habitants de Sardes sont tièdes ou morts et appelés à la conversion et au repentir. De nos jours, existe-t-il une Eglise, locale ou dénominationnelle, qui échapperait à ce danger? Ce serait tellement beau!
L’Eglise est le peuple de l’alliance. Christ s’adresse à chaque Eglise en se donnant le titre de Seigneur. Selon l’état réel de cette communauté, il formule un avertissement ou une exhortation, il lance un appel et fait une promesse.

Eglise
Titre du
Seigneur
Nature de
l’Eglise
Exhortation/
Correction
Appel
Promesse
Smyrne
2:8-11
Le premier,
le dernier
Pauvreté,
persécution
Ne crains pas!
Sois fidèle!
Couronne
2:7 > 22:2
Philadelphie
3:7-13
Le Saint, le
Véritable
David
Porte ouverte,
garder la Parole
Je te garderai
Tiens ferme!
Nouvelle Jérusalem
3:12 > 22:4
Pergame
2:12-17
Epée à deux
tranchants
Là où est
Satan
Idolâtrie…
fausse doctrine
Repens-toi…
autrement!…
Nom nouveau
2:17 > 21:24
Thyatire
2:18-28
Fils de Dieu,
yeux de flamme
Œuvres
nombreuses
J’ai contre toi
Jézabel
Tenez ferme
ce que vous avez
Autorité
2:26 > 21:24
Ephèse
2:1-7
Les sept étoiles
Persévère
Abandon du
premier amour
Souviens-toi,
repens-toi!
Arbre de vie
2:7 > 22:2
Sardes
3:1-6
Sept étoiles et
Esprits de Dieu
Tu es mort
Je te connais
tu es mort
Garde
la Parole!
Je confesserai
3:5 > 22:19
Laodicée
3:14-22
L’Amen
Tu es tiède
Je te vomirai
Je corrige
Je me tiens
à la porte
Trône
3.21 > 21:11
La diversité des Eglises de l’Apocalypse est grande, les exhortations qu’elles reçoivent variées. N’y aurait-il pas une sorte de typologie biblique des communautés religieuses? Même si elle n’intéresse pas les sociologues, elle aurait de la valeur aux yeux de ceux qui appartiennent au Royaume. Elle permettrait de dresser un bilan théologique et spirituel de nos communautés et de leurs physionomies et, éventuellement, d’apporter une réponse à leurs besoins.
V. Les causes de l’apostasie
Les personnes régénérées croissent en sainteté, de façon positive, en vivant selon la grâce et, de façon négative, en supprimant le péché et en éliminant ce qui relève de la chair. De même, les Eglises croissent par la pratique de l’amour et en luttant contre l’erreur grâce aux fonctions complémentaires: l’enseignement et la discipline.
N’aurait-on pas un peu oublié, aujourd’hui, que la vie chrétienne est un combat? Sait-on assez que l’Eglise est appelée à être militante et à lutter pour se maintenir? Chez l’individu, l’apostasie – à savoir une atteinte à la fidélité au Christ, comme O. Winslow l’a dit9- prend racine dans le cœur. Dans l’Eglise, elle surgit également au cœur de ce qui constitue sa raison d’être: le Christ ressuscité.
Une Eglise vivante établit un équilibre harmonieux entre la doctrine et la pratique, la foi et la vie sous l’autorité de la Parole de Christ, de la façon suivante:
i) L’Eglise de Smyrne, à l’image de Polycarpe, son célèbre martyr, et celle de Philadelphie respectent cet équilibre, car elles gardent la Parole, sont fidèles et tiennent ferme, en supportant la persécution et en consentant des sacrifices, même jusqu’à la mort.
ii) Dans les Eglises de Pergame et de Thyatire s’établissent des situations de compromis. Pour s’adapter au monde, de fausses doctrines et l’inconduite à l’image de Jézabel commencent à être tolérées. L’équilibre entre la Parole, la vie et la foi est ébranlé.
iii) Ephèse, Sardes. Dans le cas de ces deux communautés, cet équilibre est également rompu. La situation s’aggrave, car la Parole est oubliée: les œuvres sont en opposition avec la foi; c’est « l’embourgeoisement ». Le schéma ci-après illustre la nature de l’apostasie d’Ephèse et de Sardes:
iv) A Laodicée, en situation de tiédeur,il n’est plus question d’appeler au repentir, aussi le Seigneur affirme-t-il que son action sera celle d’une correction.
En résumé, l’apostasie atteint l’Eglise en son centre et a les causes suivantes:
  1. Une reconnaissance atténuée du caractère normatif de l’Ecriture en tant que Parole de Christ et de son autorité suprême.
  2. Une ignorance de la doctrine biblique, de sa profondeur, de ses mystères et une indifférence vis-à-vis des choses spirituelles, de la doctrine chrétienne.
  3. Un amour du monde: conformité avec ses pratiques, fascination pour ce qu’il prise et adoption de ses valeurs.
  4. Une autosatisfaction (« tu es riche »), la conviction erronée que l’Eglise est, ne varietur, sur le bon chemin, une sorte de vanité intellectuelle.
Les caractères ci-dessus sont-ils tout à fait absents de nos communautés locales comme de nos dénominations? Les Eglises qui se veulent « évangéliques » ne sont-elles pas tentées par des pratiques « mondaines » sur le plan éthique, lorsqu’elles obscurcissent la grâce de l’Evangile? Un inventaire, avec évaluation sans complaisance, ne mériterait-il pas d’être fait?
Il ne suffit pas d’organiser commémoration sur commémoration et de rendre hommage à nos pères; ne conviendrait-il pas aussi de vérifier quel est, aujourd’hui, le prix de la fidélité au Seigneur? Ce prix est, probablement, d’une nature différente qu’autrefois, mais est-il moins élevé?
VI. Le développement de l’apostasie
Comment discerner la présence et le développement de l’apostasie sur le plan institutionnel?
Comme on l’a vu, l’apostasie est par nature une perte, dans l’Eglise, de la présence et de la puissance de Jésus-Christ, le chef de l’Eglise, cette absence se traduisant dans le domaine de l’affirmation doctrinale et dans celui de la pratique.
i) En ce qui concerne la vérité
L’apostasie se développe en même temps qu’apparaissent un manque d’appétit pour la Parole de Christ et une prise de conscience que des doctrines bibliques deviennent des « problèmes ». Certaines de celles-ci semblent même inacceptables, comme l’inspiration plénière de l’Ecriture, la prédestination, la mort sacrificielle de Christ, le jugement et l’enfer. L’Evangile fait insensiblement place à un autre évangile, humaniste et sentimental ou, dans le meilleur des cas, ambigu.
Conséquence: puisqu’une distance est établie entre ce que dit l’Ecriture et ce qu’enseigne l’Eglise, la Parole est de moins en moins familière et la prédication manque de puissance, car la conviction est absente.
Dans les synodes, l’étude biblique préalable à la prise de toute décision importante – principe à laquelle on reste très attaché – permet bien souvent de justifier ce qui a déjà été décidé par les meneurs de jeu. Combien de délégués aux divers synodes, faute d’une véritable culture biblique, en sont-ils conscients?
La fidélité à l’Eglise-institution prend le pas sur la fidélité à Jésus-Christ. La vérité se trouve subordonnée à l’agencement de consensus ecclésiastiques. L’unité de l’institution prime; « je reste pour le bien de l’Eglise », « je partirai, si et quand tel seuil sera dépassé ». Et ces seuils s’élèvent de plus en plus!
La résistance au mal devient presque impossible. Comme l’a dit C.H. Spurgeon, dans une union d’Eglises pluralistes, les marques bibliques de l’Eglise sont plus ou moins estompées. B.B. Warfield a prononcé une parole frappante à ce sujet: « Il est impossible de couper le bois pourri. »
L’Eglise d’Ephèse, dont la situation est ambiguë, risque de se voir enlever son « chandelier », si elle ne se repent pas (Ap 2:5). Sans repentir, les illusions foisonnent et un succédané est substitué à l’Evangile. Il suffit pour s’en convaincre de considérer, d’une part, les mouvements du nouvel âge, sorte d’amalgame avec la foi chrétienne, « l’évangile de la prospérité » ou le culte clappy-happy, imitation du show-biz, et, d’autre part, les théologies modernes qui réduisent, plus ou moins, l’Evangile à des mythes, par abandon des grandes vérités de la christologie et de la sotériologie, comme on le voit, aujourd’hui, dans bien des Eglises, tant néo-évangéliques que pluralistes consensuelles.
ii) En ce qui concerne la pratique
L’apostasie élimine la sainteté dans la mise en pratique de l’Evangile. Comme Spurgeon l’a également dit, si l’unité que l’on préserve n’implique pas l’exercice d’une discipline de vie, elle n’a rien à voir avec l’unité selon l’Evangile. Celle-ci, comme l’a souligné Owen, est rompue par l’erreur et elle devient schismatique par rapport au dépôt apostolique. Un principe: Toute communauté ou union d’Eglises qui s’écarte de l’Evangile et de la pratique biblique est dans une situation de schisme par rapport à l’Eglise catholique universelle, la vraie communauté des croyants en Christ. La question de l’homosexualité, par exemple, qui se pose à l’Eglise en Europe aujourd’hui, n’est pas de l’ordre des adiaphora.
Ainsi, en refusant de se démarquer d’une Eglise visible renégate, on risque d’être en rupture avec Jésus-Christ lui-même et avec son corps, l’Eglise invisible qui réunit tous les croyants dans le ciel et sur la terre! Reste la douloureuse question: à quel moment faut-il envisager de se séparer? Après avoir procédé – avec d’autres frères, pas tout seul – à une honnête, lucide et charitable évaluation de la situation.
On l’a vu, l’hérésie correspond à une distanciation par rapport à l’Evangile cru et vécu. L’apostasie, elle, va plus loin et ne distingue plus entre la vérité et l’erreur. Pour être éclairé, à cet égard, sur une Eglise, il convient de faire les quatre vérifications suivantes:
  1. La pratique de la doctrine biblique est remplacée par des idées humaines, relevant du politiquement correct.
  2. Le légalisme se manifeste. Des pratiques hyperspirituelles deviennent plus importantes que les commandements bibliques; ou, par contre, l’intégrisme du consensus devient obligatoire.
  3. Le perfectionnisme s’installe, ou le relativisme tolérant, qui proposent, l’un et l’autre, l’illusion que le combat contre le péché n’est plus actuel. Résultat dans les deux cas: des attitudes insidieuses d’hypocrisie, d’orgueil et de jugement d’autrui.
  4. Le culte, privé d’une prédication où la puissance de la présence de Christ se manifeste, se caractérise par un formalisme sec ou, à l’inverse, relève du divertissement.
VII. Un remède?
Est-il possible pour une Eglise devenue apostate, ou en ballottage, de redécouvrir la vérité, de retrouver son premier amour? Peu d’exemples d’un retour de ce genre existent dans l’histoire de l’Eglise. Pourquoi? Sans doute parce que l’endurcissement causé par le péché et l’erreur ne s’amenuise pas avec le temps. Le seule remède à la gangrène, c’est l’amputation…
Pourtant, l’Eglise de Sardes, qui est « morte » à cause de ses œuvres dépourvues de fruits, est appelée à la vigilance, au repentir et à entendre à nouveau la Parole de vie. Il y a même en son sein un « reste » qui ne doit pas mourir, « quelques hommes qui n’ont pas souillé leurs vêtements ». Ces vainqueurs recevront la robe blanche, leurs noms ne seront pas effacés du livre de vie et Christ leur fera la grâce de les confesser devant le Père.
Au sein de la « chrétienté » de notre époque, n’est-ce pas là également notre vocation? Etre vigilants, nous repentir et confesser la Parole de vérité avec toutes ses exigences. Sommes-nous fidèles à cette vocation? Soyons attentifs à la parole adressée à Jérémie; elle est peut-être pour nous…
« Si tu reviens à moi, je te ferai revenir à ton poste devant moi;
Si tu sépares ce qui est précieux de ce qui est vil,
Tu seras comme ma bouche.
C’est à eux de revenir à toi, mais ce n’est pas à toi de revenir à eux.
Je ferai de toi pour ce peuple un mur de bronze fortifié;
Ils te feront la guerre mais ils ne l’emporteront pas sur toi;
Car je suis avec toi pour te sauver et te délivrer.
Je te délivrerai de la main des hommes mauvais,
Je te libérerai de la main des tyrans. »
(Jérémie 15:19-21)

* P. Wells est professeur de théologie systématique à la faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence et éditeur de la revue.
1 Le mot a presque disparu du discours théologique. Le fait que la tradition protestante ne parle pas souvent de l’apostasie s’explique par des références fréquentes à l’« antichrist ». Calvin, dans l‘Institution chrétienne, en parle à plusieurs reprises – III.iii.21; IV.vii.24, 28; Turretin, dans son Institutio Theologiae Elencticae, II, 606-7 et I. 365-372 de l’édition anglaise, alors que Karl Barth n’est fait pas mention dans sa monumentale Dogmatique.
2 Saint Thomas, Sum. Theol., IIa, q.xii, a.1.
3* P. Wells est professeur de théologie systématique à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence et éditeur de la Revue.
Apostasia, apo istamai, abandon, désertion, rébellion, cf. Actes 2:21, 2 Th 2:3, Hé 3:12.
4 J. Owen, Works, VII (Edimbourg: Banner of Truth, 1965).
5 Pour Calvin, dans l’Institution chrétienne, la faute est plus que l’apostasie, II.i.4.
6 La tradition de parler des individus et non des Eglises date de saint Cyprien de Carthage, qui aborde la question dans son De lapsis et étend la question à celle de l’Eglise dans le De unitate (251), l’apostasie individuelle conduisant au schisme et au problème de l’unité.
7 L’article d’A. Beugnet, dans le Dictionnaire de théologie catholique, I, n’aborde que la question des individus et des problèmes moraux et n’envisage pas celle de l’apostasie de l’Eglise.
8 Autres exemples: cf. Ga 1:6, 3:1 et Col 2:8, 18-19. Dans l’AT, les passages concernant l’apostasie sont plus pointus, et font le lien entre l’abandon de l’alliance et l’infidélité conjugale. Dans ce contexte, l’adultère est synonyme de l’apostasie. Cf. Es 1:2-4, Jé 2:1-9 ou le fameux chapitre d’Ezéchiel 16.
9 O. Winslow, Le déclin spirituel et son réveil (Chalon-sur-Saône: Europresse, 1997).

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