samedi 8 janvier 2011

MATTHIEU 3.13-17





13 Alors Jésus vint de la Galilée jusqu'au Jourdain vers Jean, pour être baptisé par lui, 14 mais Jean s'y opposait en disant: «C'est moi qui ai besoin d'être baptisé par toi, et c'est toi qui viens vers moi?»
15 Jésus lui répondit: «Laisse faire maintenant, car il est convenable que nous accomplissions ainsi tout ce qui est juste», et Jean ne lui résista plus.
16 Dès qu'il fut baptisé, Jésus sortit de l'eau. Alors le ciel s'ouvrit [pour lui] et il vit l'Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui.
17 Au même instant, une voix fit entendre du ciel ces paroles: «Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute mon approbation.»




Chers frères et soeurs,
chers amis,

Le baptême de Jésus par Jean-Baptiste ouvre le ministère public de Jésus dans nos 4 évangiles. C'est bien le signe que, pour l'Eglise primitive, il y avait dans cet acte surprenant un enjeu fondamental pour la compréhension de tout le ministère de Jésus. On pourrait dire que ce récit du baptême dans les eaux du Jourdain indique la vocation de Jésus de manière toute particulière. Certains mouvements dissidents de l'Eglise primitive pensaient même que ce n'était que lors de son baptême que Jésus était devenu "Fils de Dieu", qu'il avait, en quelque sorte, été adopté par Dieu à ce moment-là… Ce matin, je n'aimerais pas m'engager dans des théories historiques ou dogmatiques sur ce baptême, mais plutôt j'aimerais laisser parler les images évangéliques, car elles me semblent très fortes et sont pleines de résonances pour nous guider dans notre réflexion et dans notre vie. Dans nos 4 évangiles, le baptême de Jésus par Jean-Baptiste marque le commencement du ministère public de Jésus. Cela montre bien que, pour la première église, il y avait dans cet acte quelque chose de fondamental pour la compréhension de toute la vie de Jésus et de son message. Et comme nous sommes dans la saison de l'Epiphanie, où les différents aspects de la personne de Christ sont particulièrement mis en lumière, nous allons nous pencher sur son baptême pour comprendre ce qu'il nous dit.
Ce baptême de Jésus a en fait longtemps été considéré comme une énigme. Certains ont prétendu que Jésus n'était devenu le Fils de Dieu qu'ua moment de son baptême. D'autre part, le fait que Jésus se soit identifié aux pécheurs que nous sommes par ce baptême a posé bien des questions. C'est pourquoi, dans le pseudo-Evangile aux Hébreux (un texte apocryphe) Jésus explique bien que non,bien sûr, il n'est pas pécheur! Mais nos vrais évangiles, eux, sont bien plus discrets et demandent plus d'approfondissement. Et enfin, il y a la tendance à rapprocher le baptême de Jésus et le nôtre, en oubliant un peu trop vite que le baptême de Jean n'était pas le baptême chrétien que nous avons reçu!
Alors ce matin, je vous propose de rester simples et de nous laisser guider par le texte des évangiles en lui demandant de nous apporter ses lumières.

Restons simples, donc, et considérons le symbole principal du baptême de Jésus: l'eau. Voilà un symbole qui évoque de nombreuses références dans notre Ancien Testament: nous pensons au passage de la Mer Rouge qui marque la libération du peuple juif hors d'Egypte. Paul d'ailleurs, établit un parallèle entre cet épisode et le baptême chrétien qui est lui aussi chemin de libération. Mais ce que nous devons bien saisir est que souvent dans l'Ancien Testament, l'eau ne possède pas nécessairement l'image positive que nous lui avons donnée. Pour nous, l'eau, c'est la vie. Pour les Hébreux, c'était plus compliqué! Dès les récits de la Création, l'eau est vue comme un symbole du "chaos", du monde ténébreux, de la menace à laquelle les hommes et la création entière sont exposés (cf. le récit du Déluge)… Dans la Bible, le symbole de l'eau n'évoque donc pas, en premier lieu, l'eau claire et limpide qui lave et purifie, mais l'eau menaçante qui engloutit !

Nous retrouvons cela notamment dans les Psaumes, ce livre de prière du peuple juif. Les Psaumes sont remplis d'images de catastrophes naturelles (torrents dévastateurs, inondation violente, sol marécageux, etc…) pour exprimer, de manière très concrète et tangible, très visuelle pourrait-on dire, la situation morale et spirituelle dans laquelle l'homme se trouve, situation du psalmiste pris dans les forces du mal et la violence des ennemis... comme s'il était en train de se noyer, submergé par des eaux !

Souvent, nous avons tendance à être abstraits face au mal qui nous touche. Nous parlons ainsi de « mal-être », d'aliénation. Nous sommes même encore quelques uns à parler des conséquences du péché...Mais les psalmistes évoquent les mêmes réalités en termes beaucoup plus graphiques. Pour les désigner, le psalmiste parlera d'un torrent dans lequel l'homme est emporté, de bourbier dans lequel il s'enlise, de filet ou de piège qui le tiennent prisonnier. Images fortes qui expriment bien ce sentiment de perte d'équilibre, de manque de souffle, d'asservissement et même cette menace d'anéantissement...

Ces images évoquent aussi la terrible puissance du mal sur nous et toute notre impuissance : peut-on, en effet, lutter contre un torrent qui dévale ? Peut-on se sortir soi-même d'un marécage qui nous engloutit ? Peut-on se hisser de ses propres forces hors de l'abîme ?

C'est pourquoi, dans les psaumes, en plus de cette description de la situation dramatique dans laquelle se trouve l'homme, il y a aussi, toujours, l'appel pathétique et très concret à l'aide de Dieu, l'attente d'un Sauveur...

Dans notre langage théologique, nous parlerions alors de salut, de pardon des péchés ou de délivrance. Le psalmiste, lui, va parler d'un Dieu qui retire l'homme du bourbier, d'oiseaux qui échappent au filet et prennent leur envol, de sol bien stable (le contraire du marécage) sur lequel nous pouvons marcher en équilibre, voire de rocher (le contraire de l'abîme) que nous pouvons escalader.

On peut donc maintenant tenter de relire le récit du baptême de Jésus dans le Jourdain à partir de ce symbolisme biblique si riche des psaumes.

Quand Jésus vient au Jourdain pour être baptisé par Jean, c'est bien dans cette eau, symbole de menace et de chaos, qu'il va plonger, dans cet abîme qu'il va pénétrer, dans cette zone sombre et obscure de notre monde qu'il va être immergé.

Il veut ainsi se montrer pleinement humain, entrer en pleine solidarité et communion avec nous, jusque dans ces lieux où nous perdons pied et où nous pouvons parfois nous sentir submergés par l'angoisse. En plongeant dans le Jourdain, Jésus a voulu pénétrer au cœur des zones d'ombre de notre univers et de chacune de nos vies. Il n'a pas voulu être au-dessus de nous, sur un piédestal moral ou religieux. Il n'a pas voulu être à côté, dans un univers bien protégé, calfeutré et imperméable, mais il s'est placé délibérément au cœur même de la mêlée, au cœur de la confusion de notre monde non racheté. Jésus est venu là où les humains sont blessés par la violence et la honte, par l'angoisse et le mal. Jésus est venu là où l'homme souffre et crie sa souffrance. Jésus est venu là où l'homme doute et se révolte ; là où l'homme se confronte à sa pauvreté et à sa fragilité.

Et cela résume certainement tout l'Evangile, et c'est pourquoi chacun des quatre évangélistes ouvre le ministère public de Jésus par ce récit de baptême.

Par contraste, on peut comparer cela avec un autre récit d'envoi : le récit de la vocation du Bouddha. Là aussi, il est question d'eau : les textes nous racontent que le Bouddha était en méditation sur la rive d'un fleuve, lorsque, tout d'un coup, les flots se déchaînent avec fureur autour de lui... mais lui reste totalement impassible, hors d'atteinte du monde, dans une méditation que rien ne saurait troubler...

Là se trouve toute la différence entre la foi chrétienne et toutes les sagesses orientales, qui fascinent tellement nos contemporains : Jésus ne reste pas sur la berge à méditer pour échapper au monde, aux désirs et donc aux souffrances liées aux désirs, mais il va pénétrer dans le torrent, porter sur lui nos souffrances, sauver le monde de l'intérieur...

Et, tout au long de son ministère, Jésus va aller vers les cabossés de la vie, vers les infirmes, les malades, les pécheurs pour leur témoigner la compassion divine. Un autre épisode fait d'ailleurs écho au baptême: quand les disciples sont pris dans une tempête et que Jésus vient sur eux en marchant sur les eaux (Mt 14.22-33, Mc 6.48, Jn 6.19). S'agit-il là simplement d'une démonstration de puissance, d'un renversement des lois de la physique? Non, en marchant sur l'eau, symbole de la mort et de la destruction, Jésus montre qu'il est plus fort qu'elles! C'est une annonce voilée de la résurrection. Voilà pourquoi Jésus peut dire à ses disciples effrayés: « rassurez-vous, c'est moi, n'ayez pas peur ! ».

Mais ce qu'il y a encore de plus extraordinaire dans les récits de baptême de Jésus, c'est que c'est à ce moment où la terre se dérobe sous ses pieds, au moment où il pénètre dans l'abîme, que les cieux s'ouvrent et donc que la séparation ciel-terre, Dieu-homme est abolie. C'est à ce moment que Dieu se fait totalement proche.

L'identité de Jésus est alors pleinement révélée (épiphanie!!) : "Celui-ci est mon Fils bien aimé" et le Saint-Esprit descend sur lui sous la forme d'une colombe, de l'osieau qui a annoncé à Noé que le déluge était terminé et que la vie allait reprendre!

Que nous disent toutes ces images et ces symboles bibliques?

C'est quand Jésus vit son baptême, quand il vit cette profonde solidarité avec les pécheurs que nous sommes, cette traversée de l'angoisse, cet abandon de toute sécurité humaine ; quand il pénètre donc au plein cœur de l'humanité, qu'il est révélé comme le Fils de Dieu, comme celui qui ne peut compter que sur Dieu seul, tenir sa vie que de Dieu seul... Un Dieu qu'il expérimente alors comme plus grand, plus fort, plus puissant que tous les abîmes de notre monde !

Par son baptême, le Christ entre pleinement dans sa mission. Il le fait dans une confiance totale en celui qu'il ne cessera d'appeler son Père... Et c'est l'expérience qu'il nous donne à vivre pour que nous soyons ses frères et sœurs d'adoption, pour que nous aussi, nous puissions appeler Dieu « notre Père ».

Car ces images bibliques sont aussi des images de notre existence : le torrent, le marais, la terre ferme, le ciel sont des réalités en chacune de nos vies. Ce texte du baptême du Christ se transforme en invitation : invitation à plonger dans ces abîmes qui parfois nous effraient en nous, à traverser les épreuves et les angoisses qui nous habitent, à partir à la quête de notre vie profonde et à partager aussi la peine de nos compagnons d'humanité. Jésus est déjà passé par là, il nous montre le chemin, il nous a tout donné. Par la foi, il veut nous mener vers le lieu où le ciel peut s'ouvrir au-dessus de l'abîme et où nous pouvons nous découvrir, à notre tour, fils et filles de Dieu !

Amen.

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